Ligne haute tension : bras de fer électrique entre Enedis et des éleveurs
Alain Crouillebois est éleveur à la Baroche-sous-Lucé, dans l’Orne. Il a, pendant huit ans, vu ses animaux changer de comportement suite à l’implantation par Enedis d’une ligne haute tension à proximité de ses bâtiments d’élevage. Il estime aujourd’hui son préjudice à plusieurs milliers d’euros. Il compte attaquer la société en justice, pour trouble anormal de voisinage.
Pendant plus de huit ans, Alain Crouillebois, éleveur laitier, a été confronté à un comportement anormal de son troupeau. « Les vaches se groupaient en masse dans certaines zones du bâtiment, la production moyenne de lait par vache et par jour est passée de 34 litres à 21 litres, la qualité du lait s’est détériorée. Il y avait beaucoup de cellules dues aux mammites provoquées par le stress des animaux. Les veaux d’élevages ont subi des problèmes de parasitisme et de croissance. Ils refusaient d’aller boire à l’automate. À six mois, certains ne pesaient que 85 kg. Nous en avons euthanasié et autopsié une dizaine, sans jamais trouver la cause de ce déclin de croissance », énumère Alain Crouillebois, encore marqué par cette période. Ces anomalies se sont déclenchées à la suite de l’implantation par Enedis d’une ligne à haute tension de 20 000 volts sous terre, à une vingtaine de mètres de ses bâtiments d’élevage. L’Association nationale des animaux sous tension a organisé, mercredi 29 janvier, une conférence de presse chez l’éleveur laitier, afin d’alerter sur les troubles d’origine électrique.
« Je me suis dit que j’étais sauvé »
Les vétérinaires et les techniciens se sont longtemps succédés dans l’exploitation, sans jamais trouver la cause du changement de comportement du troupeau laitier. « J’ai installé un robot de traite en 2008. Certaines vaches restaient plus de quarante heures sans aller se faire traire. Je devais parfois pousser une quarantaine de laitières vers le robot, sur un troupeau de 65 vaches. C’était un boulot faramineux, je me demandais si j’avais fait le bon choix en choisissant le robot de traite », se remémore l’éleveur. En 2017, Alain Crouillebois signe un protocole GPSE (Groupement permanent pour la sécurité électrique) avec la Chambre d’agriculture, les membres du GPSE et Enedis. « À ce moment-là, je me suis dit que j’étais sauvé, confie l’exploitant. Mais je me suis vite rendu compte que leur but était de remettre en cause mes compétences d’éleveur. » Pendant deux mois, la ferme est équipée de cinq caméras de vidéosurveillance « pour voir comment je travaille ». Commence alors une multitude de travaux dans les bâtiments d’élevage financés par le GPSE. « Ils ont posé des balais sur les racleurs, installé des tôles translucides sur le toit parce qu’ils pensaient que la stabulation était trop sombre, m’ont fait barder le pignon d’un bâtiment pour que l’espace soit davantage calfeutré. » Malgré tous ces changements, l’éleveur ne perçoit aucune amélioration. « Le GPSE l’a également reconnu dans son rapport de conclusion. »
62 000 € de travaux
Pendant la durée du protocole GPSE, Alain Crouillebois rencontre un cas similaire au sien dans le Finistère. « L’éleveur m’a dit qu’Enedis avait accepté de déplacer la ligne et les problèmes d’élevage ont disparu. J’ai donc demandé à Enedis de faire la même chose chez moi. Ils ont catégoriquement refusé. » L’exploitant n’abandonne pas, il est persuadé que la ligne haute tension, installée en zone humide, provoque des courants parasites. En 2018, il propose de financer lui-même le déplacement des ouvrages d’Enedis. Le ton commencer alors à monter entre les deux parties. « J’ai signé le devis d’un montant de 62 000 euros. Le directeur régional d’Enedis m’a dit que je faisais une énorme connerie, je lui ai répondu que je gérais mon argent comme je le voulais. » Après avoir versé un acompte de 12 000 €, les travaux de déplacement de la ligne à 150 mètres des bâtiments d’élevage se terminent le 4 juin. Et depuis, tous les problèmes d’élevages sont résolus. « La production laitière est remontée gentiment. Je suis aujourd’hui à une moyenne de 31 l de lait par vache et par jour. Le troupeau occupe tout l’espace du bâtiment, la qualité du lait est meilleure, et les veaux n’ont plus de problèmes de croissance. »
Une lettre avant de saisir le tribunal
Aujourd’hui, Alain Crouillebois va mieux. Moralement et financièrement. Sa « passion pour l’élevage et le soutien inconditionnel des membres de l’Anast » l’ont sauvé. Mais l’éleveur estime son préjudice entre 3 000 et 5 000 € par mois. Son avocat, Maître François Lafforgue, annonce qu’il envisage de demander un dédommagement à Enedis. « Nous allons adresser une lettre de réclamation à la société dans les prochains jours. Nous les informerons que mon client ne paiera pas le solde de la facture, soit 50 000 €. En fonction de leur réponse, nous saisirons le tribunal pour le motif de trouble anormal de voisinage », détaille l’avocat. Soixante-six cas similaires sont connus par l’Anast sur le territoire français. Serge Provost, président de l’Anast, accuse « un lobby de l’électricité. Nous souhaitons, depuis trente ans, qu’une étude du sol et du sous-sol soit systématiquement faite avant l’implantation d’équipements électriques ». Il n’oublie pas d’écorcher le GPSE, qui selon lui, « cherche à accabler l’éleveur, mais pas à connaître la vérité. Les problèmes ne sont pas divulgués, car les éleveurs doivent signer une clause de confidentialité. Nous faisons face à un véritable scandale sanitaire ». n