Accroître l’autonomie sous toutes ses formes
C’est ce vers quoi vont les 10 exploitations réengagées en 2016 dans le Groupe Dephy-Ecophyto Polyculture-Elevage bas-normand. Huit fermes laitières et deux plus orientées « cultures » mettent en commun leurs pratiques pour diminuer le recours aux produits phytosanitaires.
« Du blé à 75 qx moins versant et moins coûteux à produire, plutôt que du blé à 85 qx avec beaucoup de traitements »
Des techniques préventives pour limiter les adventices, maladies et ravageurs : c’est le socle commun du groupe, indispensable pour moins utiliser les pesticides.
Sur céréales d’hiver, le groupe vise des objectifs de rendements facilement accessibles au moins un an sur deux. Ne pas se focaliser sur des rendements très élevés autorise une gestion de l’azote « modérée », qui joue en conséquence sur la limitation des risques de verse et de certaines maladies. Ceci autorise donc des réductions de fongicides et souvent la suppression des régulateurs de croissance. « Les mélanges de variétés de blé sont aussi assez prisés : une sorte d’assurance tous risques agronomique, qui permet d’associer des variétés à paille et de limiter le risque de verse », souligne Jacques Girard, animateur du groupe Dephy à la Chambre d’agriculture du Calvados.
Concilier autonomie fourragère et rotations plus économes en phytos
Dans certaines exploitations laitières, on voit à nouveau de la luzerne et des associations de trèfles divers et de graminées en « têtes de rotation » : moins de besoins d’azote et d’herbicides dans les cultures suivantes sont les bénéfices agronomiques connus et confirmés.
On voit aussi plus fréquemment des cultures dérobées à vocation protéique, avec trèfles violets et/ou d’Alexandrie, semées et récoltées entre la moisson des céréales et le semis des maïs. Depuis cinq ans, certains automnes/début d’hiver assez chauds ont permis de constituer de bons stocks. A condition qu’ils soient assez denses et couvrants, leur intérêt est affirmé dans la limitation des adventices à l’interculture.
« Certains producteurs expriment aussi le souhait de retrouver de l’autonomie de décision par rapport aux fournisseurs », relate Jacques Girard. Le groupe peret une forme de ré-assurance sur des pratiques plus économes.
* IFT : Indice de Fréquence de Traitement. Il indique la quantité de produits phytosanitaires utilisés par campagne sur chaque culture et sur l’ensemble de l’assolement. On le divise souvent en IFT « Herbicides » et IFT « Hors Herbicides ». C’est le rapport entre les doses utilisées et les doses homologuées. Par exemple, deux applications de produits à demi-dose donnent un IFT de 1. Les chiffres montrés ici n’incluent pas les traitements de semence.
Depuis 2010, Dephy-Ecophyto accompagne des agriculteurs volontaires vers la réduction des pesticides. Actuellement en France, 300 groupes mettent en œuvre toutes sortes de combinaison de moyens agronomiques, alternatifs. Trois grands objectifs : réduire le recours aux produits phytosanitaires pour se rapprocher d’IFT* inférieurs aux références régionales ; ou continuer à conduire des rotations déjà peu consommatrices d’intrants ; ou encore suivre le fonctionnement de fermes en Agriculture Biologique (15% des exploitations du Réseau). Dans tous les cas, la durabilité économique des systèmes est évaluée. Seront compilés aussi quelques indicateurs de pression environnementale ou d’acceptabilité sociale.
Un réseau d’expérimentations mené en parallèle montre des voies de progrès économiquement viables (Dephy-EXPE).
Les résultats nationaux récents montrent pour 80% des fermes du Réseau Dephy-Fermes, les systèmes de culture peu utilisateurs de pesticides n’engendrent pas de pertes économiques.
Interview
Gérard Hamant à Cormolain (14)
Membre du groupe DEPHY-Ecophyto depuis 2012
>> Que mettez-vous en œuvre dans votre ferme pour limiter les adventices, maladies et insectes ravageurs ?
J’ai dû revoir ma rotation suite à l’arrêt de l’élevage bovin. Il n’y a plus de prairies temporaires, mais j’ai diversifié avec des cultures de printemps (pois et féveroles de printemps), et surtout du chanvre cultivé depuis 2015. Sur pois et féverole, j’essaie de limiter autant que possible les insecticides. Sur bruches, j’envisage le test de produits alternatifs de type purins d’ail, d’autant plus que les insecticides classiques ne sont plus très efficaces.
>> Quelles réussites et quelles améliorations possibles sur la culture du chanvre ?
Le rendement est satisfaisant. C’est une culture étouffante vis-à-vis des adventices, conduite sans produits phytosanitaires. Dans notre secteur, il faut veiller à ne pas la semer trop tôt : viser une levée rapide pour vite occuper le sol. En 2017, les conditions humides de septembre ont engendré un écart entre fauche et enroulage, avec la nécessité de retournages. Souvent, il est prudent aussi de prévoir suffisamment de capacité de stockage, et aussi de la trésorerie car le délai entre récolte et valorisation de la production à l’usine peut atteindre deux ans. Mais je continue cette culture sans hésiter.
>> Comment aller plus loin dans la réduction des produits phytosanitaires ?
Je souhaite concilier d’autres objectifs : gérer le temps de travail, toujours essayer de réduire les charges. Pour ce faire, j’envisage de raréfier le labour et de me rapprocher de techniques de semis direct. Outre améliorer la fertilité du sol, je pense que cela pourra limiter l’infestation par certaines adventices. La rotation va être revue, avec des successions de deux cultures dicotylédones, puis deux blés. Par exemple, derrière une féverole de printemps semée si possible fin janvier et récoltée fin août, viendra immédiatement un colza qui bénéficiera de l’azote fixé par la féverole. Derrière les repousses de colza : deux blés successifs « entrecoupés » d’une interculture courte à base de protéagineux.