Interview
Benoît Lefébure : " nous devons être force de propositions "
Benoît Lefébure, 50 ans, est membre du conseil d’administration de la FDSEA. Originaire du nord de la France, il est cultivateur à Escoville et plaide pour un syndicat fort, défenseur d’une agriculture qui joue à armes égales dans un marché unique.
Benoît Lefébure, 50 ans, est membre du conseil d’administration de la FDSEA. Originaire du nord de la France, il est cultivateur à Escoville et plaide pour un syndicat fort, défenseur d’une agriculture qui joue à armes égales dans un marché unique.
>> Benoît Lefébure, qui êtes-vous ?
Je suis originaire du nord de la France, d’une famille d’agriculteurs. J’ai suivi un parcours général. Après le bac, je suis allé en BTS productions végétales dans l’Aisne. J’ai eu l’occasion de partir au Canada pour récolter du tabac et dans une porcherie en Angleterre pour apprendre la langue. J’ai effectué mon service militaire dans le corps des chasseurs alpins et j’ai passé quatre mois en Guyane. Ensuite, j’ai voulu travailler dans le domaine de l’agrofourniture. J’ai suivi la formation Tecomah, sur le campus HEC Paris, afin de développer mes compétences en matière de commerce, de marketing. J’ai travaillé chez Limagrain pendant cinq ans. J’en ai eu marre. Je suis allé dans le secteur des produits phytosanitaires. J’ai travaillé pour Bayer Agro puis Bayer Crop Science, où j’ai fini ingénieur grand compte.
>> Quand êtes-vous devenu agriculteur ?
Après quinze ans dans l’agrofourniture, j’ai eu le choix de travailler au siège ou de partir à l’étranger. Je ne voulais ni l’un ni l’autre. On s’est demandé avec ma femme : que fait-on ? Le travail me plaisait moins, il y avait de moins en moins de place pour exprimer sa personnalité. J’ai dit stop. En 2009, j’ai eu la chance de reprendre la ferme de l’oncle de mon épouse, à Escoville. Je cultive des céréales, des pommes de terre et du lin textile. Jusqu’à la fermeture de la sucrerie, je produisais des betteraves. Je réalise, à côté, du travail à façon sur 60 ha. En 2012, ma femme a repris une structure au sein de laquelle nous sommes associés. J’aime prendre mes décisions, en fonction du développement que je souhaite pour mon exploitation et ma vie. Je travaille pour moi, dans un environnement serein avec ma famille, mes employés et mes collègues. J’ai un objectif : vivre de mon métier et qu’il perdure.
>> Que représente, pour vous, le syndicalisme ?
J’ai toujours adhéré à la FDSEA, depuis que je suis installé. Je suis convaincu que si on veut, nous les agriculteurs, être défendus en France, il faut un syndicat fort. Et pour cela, il faut aider à le financer par les cotisations. Le syndicat a perdu du poids depuis les années 2000. Son message est dilué. Il y a des incohérences avec les attentes sociétales et ce que nous sommes capables de produire. L’image qu’a la société des agriculteurs est différente de la réalité. Et pourtant, les agriculteurs français produisent mieux, avec moins d’intrants que d’autre pays dont les denrées arrivent sur notre marché. Je pense au sucre brésilien, à la Hollande et l’Allemagne qui utilisent les néonicotinoïdes. Le syndicalisme dit stop à la concurrence déloyale dans un marché unique où les règles sociale, fiscale, de production ne sont pas les mêmes.
>> Quand avez-vous commencé à vous engager ?
Mon premier engagement, c’est d’être agriculteur et de bien faire mon métier. Je suis entré à la CGB en 2011. J’aimais bien l’implication du syndicat dans la culture de la betterave et ses outils, l’idée de participer à un esprit de filière moderne. On s’est battu pour la défense et le sauvetage du plan de reprise de la sucrerie de Cagny. J’ai dépensé de l’énergie. Je croyais dans l’importance de la betterave sucrière pour la ferme Calvados et mon exploitation. C’était un combat collectif. J’en ai tiré une leçon sur la non-capacité qu’ont les élus politiques nationaux à aller contre les décisions de grands groupes internationaux : ils ne sont pas armés pour soutenir les agriculteurs. J’ai été déçu, mais je me suis relevé.
>> En prenant des responsabilités à la FDSEA ?
Xavier Hay m’a demandé si je voulais entrer au conseil d’administration. Avant, j’étais très pris par la CGB. Depuis qu’il n’y a plus de betteraves, j’ai plus de temps. J’aime travailler les sujets larges, pousser le raisonnement. La FDSEA est importante dans le département pour alimenter le réseau national. Au conseil d’administration, nous devons être force de propositions. La distorsion de concurrence existe même entre départements français : je pense par exemple à l’irrigation. Cela fait des années que je demande à ce qu’on puisse accéder à la ressource en eau, de manière raisonnable, pour produire des cultures à valeur ajoutée. Le sujet est hyper intéressant. Avec une vraie volonté politique, les syndicats et la Chambre peuvent conduire des projets. En Israël, par exemple, 80 % des eaux usées sont réutilisées, après traitement, pour l’agriculture. Je suis aussi un Européen convaincu. Mais je pense que la future PAC est, encore, un gros pavé de mots qui ne résoudra pas les maux de l’agriculture. Pourtant, je suis sûr qu’on peut faire beaucoup de choses pour améliorer la résilience économique des exploitations.
Question à Hervé Morin, président de la Région Normandie
Que peut-on mettre en place pour accéder à la ressource en eau et à l’irrigation, afin de développer les cultures à valeur ajoutée dans le département ?
D’un point de vue des compétences réglementaires, rappelons que l’État est responsable des autorisations de prélèvements d’eau. La question des évolutions de la ressource en eaux dans les prochaines décennies est en effet essentielle en raison des conséquences du changement climatique. La Région a initié un travail important avec le Giec (1) normand. Il rend actuellement ses résultats sur les évolutions à attendre du changement climatique en Normandie, notamment sur les différents sujets de l’eau (ressources, pluviométrie et régime hydrologique, risques, zones humides et sols, sécheresses…). Ce sont autant de questions dont le monde agricole se saisit déjà et qu’il doit approfondir rapidement pour que les choix de systèmes et les investissements réalisés actuellement anticipent les nécessités d’adaptation à venir, qui seront d’autant plus surmontables financièrement qu’elles auront été anticipées.
Sur le sujet des prélèvements d’eau en particulier, le travail d’anticipation doit être issu d’une réflexion avec l’ensemble des acteurs concernés par une même ressource, afin de concilier les usages dans le respect de l’ensemble des besoins écologiques, des besoins en eau potable et des besoins pour les activités économiques agricoles… Il s’avère aussi nécessaire d’adapter les cultures aux potentialités de chaque microrégion, des écarts importants existant entre les différentes zones. C’est pourquoi la Région incite les acteurs du territoire à prendre en compte cet enjeu de l’eau dans tous leurs projets de développement et d’aménagement.
(1) Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat