Bilan d’automne normand : crise de l’élevage
La ferme normande devrait perdre 119 millions d’euros de revenu en 2015 par rapport à 2014, soit 18 %. Cette première estimation partielle souligne l’impact sur les productions animales : - 40 % pour les systèmes lait spécialisés, - 35 % pour les porcs et un niveau de revenu toujours très bas pour la viande bovine. Retour sur les faits marquants de l’année.
Un climat propice aux cultures, pas au fourrage
En 2015, la répartition des pluies et les températures globalement au-dessus des normales saisonnières avec des coups de chaleur courant juillet ont accéléré les moissons et permis une hausse des rendements normands : 12, 5 % de plus en colza et 10 % en blé et orge. En blé, la qualité est au rendez-vous, avec des teneurs en protéines meilleures qu’en 2014 et un retour à la normale pour le temps de chute de Hagberg. Mais le coup de chaud estival a été défavorable aux fourrages, surtout en Haute-Normandie, où le déficit a dépassé 30 %. Face aux stocks faibles, le conseil départemental de l’Eure propose des prêts à taux zéro aux éleveurs victimes de la sécheresse pour se fournir en fourrage. Depuis, les conditions climatiques de fin d’été ont permis de reconstituer un peu les stocks de fourrage et d’atténuer les effets de la sécheresse estivale.
Cultures : davantage de protéagineux et moins de colza
Le blé et l’orge continuent de progresser en Normandie, en partie au détriment du colza dont les surfaces baissent de 8 % cette année. Les surfaces de protéagineux progresseraient également (estimations à confirmer) probablement en raison des nouvelles règles de la PAC (paiement vert).
Prix du blé : un marché incertain
Avec le niveau de stock céréalier mondial le plus élevé depuis 29 ans, les marchés sont volatils d’autant plus que le marché international est perturbé par la crise financière chinoise qui impacte toutes les matières premières. Dans ce contexte, la concurrence à l’exportation est rude et les blés français manquent de compétitivité face à la concurrence de la Mer Noire. En Normandie, les organismes stockeurs ont proposé un prix d’acompte allant de 120 à 150 €/t dans l’attente d’une meilleure orientation du marché. La prévision sur la campagne est d’un prix stable à 10 % plus bas qu’en 2014, selon les territoires.
Hausse modérée des prix en colza
La baisse du cours du soja et du pétrole, ainsi que le ralentissement de l’économie chinoise limitent toute hausse du cours du colza pour les mois à venir. La remontée des cours observée depuis septembre 2014 s’est stoppée en juin 2015. Dans ce contexte, la prévision est une hausse du prix de l’ordre de 10 % sur la campagne.
Produits animaux-Lait : vers 14 % de baisse du prix
Le prix du lait à la ferme baisse depuis le mois d’octobre 2014, et sur les 7 premiers mois de 2015, il a reculé de 16 % en Basse-Normandie et de 17 % en Haute-Normandie. Pour la fin d’année, le recul devrait être moindre et la baisse du prix du lait en Normandie devrait avoisiner 14 % pour 2015.Cette baisse est la conséquence de la fin des quotas qui a fait bondir la collecte européenne dès avril 2015 alors que la demande chinoise s’est réduite de moitié et que la Russie maintient son embargo. Presque tous les pays sont en hausse de production : la France (+ 1 %), l’Allemagne (+ 2 %) et surtout les Pays-Bas (+ 6 %) et l’Irlande (+ 12 %).La baisse des livraisons devrait atteindre sur l’ensemble de l’année -2 % en Haute-Normandie et - 3 % en Basse-Normandie.
Porc : tenir la barre des 1,40 €
Le prix du porc a décroché significativement à partir d’octobre 2014. Depuis le début de l’été, le cadran est proche de 1,40 €. Notre prévision pour 2015 est une baisse de 6 % du prix. Dans le même temps, l’aliment porc a reculé de 5 % sur les 7 premiers mois de 2015. Ce recul devrait s’accentuer en fin d’année, pour aller vers 6 % de baisse annuelle.
Viande bovine : un troupeau et des ventes stables
Avec un peu moins de vaches laitières et un peu plus de vaches allaitantes, le troupeau bovin est globalement stable. Le nombre d’élève est en hausse, aussi bien en lait qu’en viande, preuve d’un fort potentiel de production à venir.Côté ventes, elles progressent en vaches de réforme laitière (+ 9 %) et en bœufs (+ 4 %) mais baissent en jeunes bovins et en vaches allaitantes.La prévision fait osciller les baisses de prix des bovins sur l’année de - 7 % en vaches laitières à stable pour les jeunes bovins viande.
Des charges en baisse
Les prévisions compriment la plupart des postes de charge, avec notamment une baisse de 20 % de la facture de carburant. En aliment, la baisse est décevante : La baisse du prix réel reste assez nettement inférieure à ce que suggère la modélisation réalisée à partir d’indices de prix des matières qui composent l’aliment et de l’observation passée des prix.
Baisse sérieuse du revenu
La compilation de toutes ces tendances sur la ferme normande permettent de fixer une première tendance, clairement orientée à la baisse ! C’est en lait que le recul est le plus fort : 240 M€ de moins qu’en 2014, qui se décomposent en - 200 M€ de baisse de prix et - 40 M€ de baisse de volume. Pour les cultures (hors lin pomme de terre et betterave) le gain est de 70 M€. Côté charges, environ 90 M€ sont économisés sur l’aliment et la facture pétrolière.L’ensemble de ses mouvements conduit à une réduction sérieuse du revenu estimé à 119 M€ soit 18 % de moins qu’en 2014.Ces effets partiels sur le revenu sont assez contrastés selon les départements normands : - 33 % pour la Manche où la production laitière est prépondérante, - 22 % dans le calvados, - 19 % dans d’Orne, + 3 % dans l’Eure et + 4 % en Seine Maritime.
Des évolutions contrastées par système d’exploitation
L’application de ces tendances sur les résultats des exploitations montre une baisse du revenu disponible de plus de 40 % pour les systèmes laitiers spécialisés, de - 25 % pour les exploitations laitières avec culture de vente, de - 35 % pour les exploitations porcines. Une stabilité à un niveau très bas pour les exploitations en viande bovine et une hausse pour les exploitations spécialisées en céréales, oléagineux et protéagineux.
Méthodologie : une évaluation précoce
Le pôle économie et prospective des Chambres d’agriculture de Normandie a réalisé une étude de conjoncture. Ce bilan d’automne balaye à fin août toutes les productions et charges de la ferme normande et détermine une évolution en prix et en volume.C’est un premier bilan très partiel qui ne prend pas en compte les évolutions des légumes, des pommes de terre, des betteraves, du lin, des volailles, des œufs des équins ni des charges de structure.
Le Pôle Economie et Prospective des Chambres d’agriculture de Normandie
Depuis plus de 15 ans, les Chambres d’agriculture de Normandie développent une expertise reconnue sur les évolutions du contexte économique de l’agriculture et de l’agroalimentaire. Les travaux sont pilotés par le Comité normand d’orientation Economie et Prospective de la Chambre régionale d’agriculture (professionnels élus). Ils s’appuient sur un travail d’équipe de leurs chargés d’étude économiques départementaux et régionaux, au sein du Pôle économie et prospective.
Les réponses à la crise
Il y a eu trois annonces successives depuis le 22 juillet 2015 : celle du ministre de l’agriculture le 22 juillet, complétée par celle du premier ministre le 3 septembre. Bruxelles a annoncé un plan européen le 8 septembre.Les mesures proposées par les pouvoirs publics pour soutenir le secteur agricole sont essentiellement conjoncturelles, comme l’incitation des parties prenantes à enclencher des hausse de prix agricoles, des systèmes d’allégement des charges financières, des reports d’échéances, des exonérations fiscales, la mise en place d’un fonds de garantie des emprunts, des aides au stockage privé (Bruxelles), la prolongation des périodes d’achat à l’intervention.Des mesures structurelles ont aussi été proposées : promotion des produits, étiquetage, inciter les collectivités à acheter localement, etc.
Plus de 500 appels dans les cellules de crise
Sur les 6 dernières semaines, on compte plus de 500 appels d’agriculteurs dans les Chambres d’agriculture de Normandie qui ont débouchés sur 150 dossiers.