Comment organiser son atelier de transformation en produits laitiers frais ? /2
Comme nous l’avons évoqué dans l’article de la semaine dernière, fabriquer des produits laitiers à la ferme peut être alléchant dans le contexte actuel, entre engouement des consommateurs et envie de mieux valoriser son lait.
Il est essentiel d'anticiper l'ensemble des tâches associées à cette nouvelle activité : bien-sûr transformer, mais aussi commercialiser, se faire connaître, promouvoir ses produits, peut-être embaucher et gérer un ou plusieurs salariés, répondre aux exigences administratives... Quelles sont les durées et fréquences approximatives de chacune ? Qui les réalisera ? Quelles sont les compétences nécessaires ? Quel planning journalier et hebdomadaire sur la ferme ? Comment gérer les absences et imprévus ?
Voici un second témoignage d'éleveur ayant fait le choix d'installer un atelier de transformation : Jean-Jacques, producteur d'une large gamme de produits laitiers au lait de chèvre, partage son expérience et ses préconisations pour organiser son travail et vivre au mieux son quotidien.
Bien dimensionner son projet
Jean-Jacques, originaire de Picardie, s'est installé dans la Manche il y a une dizaine d'années : « J'ai démarré mon activité avec 15 chèvres. Je voulais tout vendre en direct, sans passer par des revendeurs parce qu'avec des produits frais, s'il y a un problème de conservation, c'est mon image qui est ternie ! Je réalisais alors 2 marchés : un le samedi et l'autre le dimanche. Pour moi, le point de départ était de trouver ma clientèle. C'est le développement de ma clientèle qui m'a fait agrandir mon cheptel. Il m'a fallu 4 ans pour la constituer et donc passer de 15 à 60 chèvres. Bien sûr, il faut aussi proposer un bon produit de qualité constante, sinon on perd ses clients. Il faut être strict dans sa fabrication. C'est pour ça que je ne veux pas être dérangé quand je suis dans ma fromagerie !
Aujourd'hui, je fais 5 marchés, un par jour sauf les lundis et mardis parce que ces jours sont moins propices au commerce. J'ai progressivement sélectionné mes marchés en arrêtant certains trop peu fréquentés : ce sont mes principaux débouchés et c'est beaucoup de travail : je ne peux pas revenir avec trop d'invendus !
Le commerce, c'est aussi beaucoup de relationnel : il faut avoir le sourire et communiquer sa bonne humeur : c'est 80% de la vente ! Et il faut bien réfléchir à ses prix de vente ; j'ai fait le choix de prix modérés sur mes produits car je veux rester accessible à toutes les bourses. Je fonctionne aussi beaucoup avec des consignes : ceux qui me ramènent leurs bouteilles de lait en verre ou leurs boîtes à faisselle payent moins chers leurs achats suivants. C'est un petit plus qui plaît et qui fidélise ».
Articuler les différentes tâches de l'exploitation
Aujourd'hui, Jean-Jacques fabrique une large gamme de produits au lait de chèvre: « J'ai commencé avec des faisselles, des fromages frais et épicés. Mais rapidement, j'ai affiné pour ne pas perdre mes fromages. Mes clients m'ont aussi incité à proposer d'autres produits : je me suis lancé dans les yaourts, les fromages blancs, les bouchons pour l'apéritif, le râpé et même le lait frais. Ça leur a tout de suite plu ! Et pour pallier les moments où j'ai beaucoup de lait, en général de mars à septembre, je me suis lancé dans la tomme : c'est un fromage de garde qui plaît beaucoup à mes clients. Mais c'est du travail ! Je suis seul pour tout faire : je trais matin et soir, je soigne toutes mes chèvres et chevrettes. Je suis 5 jours sur 7 sur les marchés et tous les jours à la fromagerie. Je dois toujours avoir une semaine d'avance dans mes fabrications : prendre du retard, c'est risquer de ne pas pouvoir fournir certains clients. Par contre, j'achète tout le foin dont j'ai besoin à un voisin et je fais appel à l'entreprise agricole pour vider la chèvrerie. C'est vrai qu'aujourd'hui, avec 60 chèvres, il faudrait être 2, parce qu'attention : l'élevage, la transformation et la vente, ce sont 3 métiers différents ! »
Optimiser le temps passé à la fabrication
« Je passe environ une heure le matin en fromagerie pour ranger les invendus du marché et travailler les fromages. Et j'y suis 3 à 4 heures le soir après la traite. Je transforme chaque soir l'équivalent de 2 traites. J'ai 5 races de chèvres différentes, avec certaines plus productives et d'autres avec des laits de meilleure qualité fromagère. Ainsi, j'arrive à traire pendant quasiment 11 mois de l'année un lait de belle qualité. Je suis peu favorable à la monotraite qui engendre une perte de 20 à 30% de la production annuelle. Mais je sais aussi que ce n'est pas toujours facile de tout concilier, notamment si vous avez une famille.
Cette année, j'ai pour la 1re fois une apprentie. Dès son arrivée, je lui ai tout fait voir et elle m'a progressivement remplacé sur l'élevage et la fromagerie. Elle est aujourd'hui autonome, sauf sur la vente. J'ai pu prendre mes 1ères vacances depuis 10 ans. Et pour moi, former quelqu'un, c'est important. J'ai moi-même appris le métier de chevrier avec un ami dans la Vercors, chez qui je suis resté 1 an. Il faut passer par la formation à l'école, mais aussi sur des fermes avant de se lancer. Et se donner du temps pour trouver sa clientèle. Au début, c'est toujours beau : les gens viennent goûter. Mais il faut fidéliser et renouveler ses clients. Caler ses recettes et réussir ses produits demande aussi du temps car la qualité et la constance sont essentielles pour perdurer. Aujourd'hui, à 57 ans, je me prépare à la transmission: l'idéal serait pour moi de travailler avec quelqu'un pendant 2 ans pour lui transmettre mes savoir-faire et mes marchés avant de lui laisser mon outil de travail et la maison de la ferme que j'ai entièrement restaurée. »
Le réseau Circuits courts des Chambres d'agriculture de Normandie propose un atelier gratuit et ouvert à tous « Optimiser mon temps de travail en transformation de produits laitiers frais ». Déjà en activité ou en projet d'installation, venez partager vos expériences et interrogations ! Un formateur du lycée agro-alimentaire de St-Lô Thère, un conseiller spécialisé en organisation du travail et une conseillère en circuits courts échangeront avec vous pour trouver ensemble des voies d'amélioration.
N'hésitez pas à venir à la Maison de l'agriculture de St Lô (50), le jeudi 28 février 2019, de 14h à 17h. L'inscription est souhaitée, mais non obligatoire, au 02.33.06.48.89.
Remerciements à Jean-Jacques pour son témoignage.