Coopérative de Creully : Yves Julien tourne la page
Yves Julien, et la coopérative de Creully (14) dont il assume la présidence depuis 28 ans, tournent jeudi 15 décembre une page. Ultime entretien avec un élu qui a fait de la transparence
et de l’indépendance sa ligne de conduite.
"Je ne sais pas si je vais monter plus souvent sur le tracteur, mais je vais faire un peu de sport pour entretenir mon corps et m’inscrire à l’université interâges pour m’entretenir l’esprit». Au nouveau siège social de la coopérative de Creully inauguré au printemps dernier, l’encore président pour une semaine manie l’humour pour évoquer son parcours d’agriculteur et de responsable d’OPA (Organisation Professionnelle Agricole). Pas un mot sur son successeur potentiel, la transparence trouve ses limites.
Des chevaux au Lanz
Yves Julien est enfant de l’après-guerre. Né en 1947, il garde en souvenir de la ferme familiale une dizaine de chevaux avec 5 ou 6 salariés, quelques vaches laitières et une centaine d’hectares. Il se souvient aussi d’un père «progressiste». Daniel Julien a été prisonnier de guerre en Allemagne pendant 5 ans. «Dans une ferme où il a appris pas mal de choses. Il s’occupait principalement de la conduite des engins agricoles». Pas étonnant alors, qu’à la faveur du plan Marshall, Daniel investisse dans un tracteur, un Lanz bien entendu.
Yves Julien a donc été bercé au rythme rapide du développement agricole boosté par la mécanisation et les débuts de la chimie. «Cela signifiait aussi beaucoup moins de pénibilité dans le travail au quotidien», insiste-t-il.
Plus agriculteur qu’éleveur
«Mes parents ne m’ont jamais poussé à devenir agriculteur. Ils m’ont même poussé à faire un autre métier estimant que la rentabilité de la ferme familiale était fragile», reconnaît-il. Il va donc suivre un cursus général, mais les étés passés à travailler dans la plaine vont le rapprocher du monde végétal, de son cycle pour, in fine, faire de lui un agriculteur agronome plus qu’un éleveur zootechnicien.
Au départ à la retraite de ses parents, en 1973, il reprend le flambeau de la ferme familiale «dans un contexte compliqué avec la reprise du capital d’exploitation et le rachat de foncier que divers propriétaires avaient décidé de vendre. L’urgence était de conserver l’unité de l’exploitation. Je me suis diversifié en JB (Jeune Bovin) tout en intensifiant les cultures de lin et de betteraves». Précurseur et précédant la mode, il va même un temps s’adonner à l’agriculture biologique.
Moteur de CUMA
Son lien au mutualisme et à la coopération est également un héritage parental. Daniel Julien était impliqué dans le bon fonctionnement de celle qu’on appelait alors la CASARC (Coopérative Agricole de Stockage et d’Approvisionnement de la Région de Creully) portée sur les fonts baptismaux en 1936 et dont il va assurer la présidence de 1972 à 1977. Yves va lui emboîter le pas. Tout d’abord à travers la création de diverses CUMA dont une autour d’une moissonneuse-batteuse en 1975 «et qui existe toujours». Mais c’est en 1988 qu’il va sceller pour longtemps son destin à celui de la coopérative dont il siège au conseil d’administration depuis déjà 7 ans. Gérard Durocher occupe la fonction depuis 11 ans, mais il est pressenti à la présidence du Crédit Agricole. Il doit préparer sa succession. «C’est à toi d’y aller !» C’est en ces termes que l’aîné invite son cadet à lui succéder. Yves Julien n’a que 41 ans. «J’ai senti à la fois une forme de reconnaissance, mais aussi un peu d’appréhension, se souvient-il. J’y suis allé parce que je savais qu’il y avait un collectif». Banco donc, mais loin de penser qu’il occuperait la fonction pendant 28 ans. Mais pourquoi un aussi long bail? Pas de réponse toute faite. Peut-être un concours de circonstances mêlant passion et raison. «La coopérative de Creully est une entreprise où il se passe toujours quelque chose. Nos projets ont toujours été nombreux, notre développement a toujours été mesuré, mais constant. Cela répondait à ma vision des choses». Un peu comme un poisson dans l’eau d’autant plus qu’Yves Julien a profité de l’occasion pour abandonner le JB. Et même s’il a repris 20 ha, «avec un bon chauffeur, c’est plus facile de s’organiser», avoue-t-il.
Féverole et Egypte
De ses bons souvenirs de président, il évoque un voyage d’études en Egypte en 2009. «Un pays qui importait et importe encore 120 000 T de blé et 10 000 T de féverole chaque semaine. Le ministre de l’Approvisionnement, là-bas, c’est le chef d’orchestre». C’est donc au pied des pyramides qu’Yves Julien appréhende concrètement la mondialisation. Il comprend alors que dans le concert des échanges internationaux, la coopérative de Creully a aussi un rôle à jouer.
Dix ans plus tard, les règlementations franco-françaises environnementales privant les producteurs de féverole de moyens de lutte contre la bruche font l’effet d’une douche froide. «Le politique en France a été défaillant, dénonce-t-il. Il a perdu le pouvoir.» Au profit de qui ? «Il est notament dans les mains des grands groupes financiers de multinationales qui jouent la spéculation», versus dérégulation des marchés.
«Dans celui de toute une sphère parisienne déconnectée des réalités de l’agriculture,» versus lobing environnemental. Pas de défaitisme cependant. «Rien n’est irrévocable. Des Pays comme le Japon, les USA ou bien encore le Brésil ont mis en place des outils de régulation». Quant à la protection de l’environnement, «bien sûr que nous y sommes favorables, mais nous devons tous avoir les mêmes règles du jeu. Aujourd’hui, c’est tout le contraire. L’agriculture française subit d’inacceptables distorsions de concurrence. L’écologie est un dossier scientifique, pas politique».
Cultiver sa différence
Par sa longévité, Yves Julien est un témoin incontournable de la vie agricole régionale. Il a vécu les péripéties de la SICA portuaire par exemple. «Il se passait des choses bizarres et nous l’avions signalé à l’époque. Nous demandions de la transparence». L’épisode 1 a sans doute accéléré le rapprochement de coopératives. L’épisode 2 s’est terminé devant les tribunaux. Creully est pendant ce temps restée droit dans ses bottes et dans sa ligne de conduite. «C’est un axe stratégique fort. Quand on fait le choix de la transformation, on s’éloigne forcément de ses producteurs. Cela mobilise beaucoup de moyens financiers et il devient de plus en plus difficile de retourner du résultat à l’adhérent.» Yves Julien revendique sa différence mais se satisfait aussi de la réussite des autres.
Ne comptez pas sur lui pour déterrer la hache de guerre évoquant plutôt ses consœurs comme des partenaires plutôt que des concurrentes.
Sur le plan syndical, il se veut consensuel. «La profession agricole n’est pas assez défendue, pas assez soudée. Nous pourrions pourtant nous entendre sur différents thèmes». Et de souligner qu’il a participé à de nombreuses manifestations réunissant tous les courants. «Attention, toujours dans le respect des hommes et des biens», insiste-t-il.
Son successeur élu, Yves Julien est prêt à l’accompagner temporairement «mais je souhaite m’effacer assez rapidement». Ne pas s’effacer totalement du paysage néanmoins. Elu d’intercom jusqu’en 2020, il portera la voie «agricole. Les enjeux de trame bleue, de trame verte peuvent être très impactants si l’on n’y prend garde». Yves Julien n’a pas fini de la jouer collectif. Alors bonne continuation au nom de la presse agricole.