Culture
Des amendements calcaires à portée de main ?
Normandie Fraicheur Mer (NFM) s’intéresse aux possibilités de recyclage de sous-produits coquilliers issus de la pêche et de la conchyliculture. Le projet vise à créer une filière de valorisation de broyats coquilliers en tant qu’amendement calcique en impliquant les agriculteurs situés à proximité des sites de production de coquillages.
Voici les premières observations des Chambres d’agriculture de la Manche et du Calvados réalisées sur deux parcelles de démonstration.
Le projet
Une expérience réussie en Bretagne qui encourage NFM à se poser la question d’une telle valorisation en Basse-Normandie
Des maraîchers proches de Saint-Malo et Cancale utilisent déjà des débris coquilliers sur leurs parcelles légumières. Les débris sont broyés plus ou moins finement selon l’ostréiculteur qui les fournit, puis ils sont stockés en bout de champs en attendant les périodes d’épandage propices. Les débris sont épandus tous les 5 à 7 ans à des doses allant de 20 à 40 T/ha.Les agriculteurs trouvent plusieurs intérêts agronomiques à l’utilisation de débris coquilliers :- maintien du pH (efficacité plus marquée si les débris sont broyés) car les maraîchers cherchent à limiter la hernie du chou (maladie qui se développe en pH acides) :- aération du sol, d’autant plus visible que les débris sont peu broyés ;- les débris sont cassants donc ils se désagrègent facilement avec les outils ;- le coût est intéressant par rapport au maërl, chaux, cyanamide de chaux. Mais certains inconvénients existent aussi :- des odeurs sont possibles pendant quelques jours si des restes de matière organique sont présents dans les coquilles ;- il existe des contraintes d’organisation pour les producteurs qui doivent être réactifs car les ostréiculteurs ne peuvent pas stocker.
Des gisements potentiels de débris coquilliers en Basse-Normandie, mais des interrogations quant à leur utilisation
Il existe trois grandes zones de gisement de débris coquilliers - principalement des coquilles Saint-Jacques et des huitres- dans la Manche et le Calvados qui pourraient potentiellement être valorisés en agriculture : la côte ouest de la Manche (Granville, Créances) ; la côte nord-est de la Manche (Val de Saire) ; et la côte du Calvados (Port-en-Bessin, Grandcamp-Maisy). Les coquilles d’huîtres sont issues des mortalités ou d’écarts de tri en élevage conchylicole et les coquilles de Saint-Jacques sont issues du décorticage de coquilles Saint-Jacques ou de pétoncles de pêche, l’ensemble représentant 6 à 7 000 tonnes disponibles/an pour les 3 zones listées.Une cartographie à partir d’analyses de sol a permis de mettre en évidence qu’un certain nombre de parcelles situées dans ces zones pourraient nécessiter l’apport d’amendements calciques en entretien.A quelle dose épandre ces produits et avec quel système ? Faut-il les broyer pour qu’ils soient efficaces ? Ces débris peuvent-ils nuire aux cultures, provoquer des nuisances olfactives ou encore attirer des nuisibles (mouches, insectes, oiseaux marins) ? Afin de répondre à ces nombreuses questions, des parcelles d’observation techniques ont été mis en place en 2012-2013 pour tester des broyats de coquilles d’huître et de Saint Jacques. Ces observations concernent des parcelles de cultures légumières (réalisation par le SILEBAN), et des parcelles de grandes cultures (réalisation par les Chambres d’agriculture de la Manche et du Calvados). L’objectif est de vérifier que ce type d’amendement convient aux pratiques agricoles, aux cultures et aux spécificités des sols et de vérifier l’absence de nuisance (olfactives, oiseaux, …). L’intérêt agronomique sera difficilement quantifiable sur 18 mois puisque l’effet calcique de ce type de débris grossiers est très lent.
Retour d’expérience sur l’épandage des débris coquilliers
Dans le Calvados et la Manche, les épandages ont été réalisés avec des épandeurs à fumier munis de 2 hérissons verticaux (matériels plus fréquemment utilisés en zone d’élevage), ce qui a permis un épandage correct du produit. Néanmoins, on notera que la répartition latérale est assez inégale : la concentration en broyat est plus forte juste derrière la caisse de l’épandeur que sur les côtés (photos).
Des cultures qui tolèrent bien les débris coquilliers
Retour d’expérience sur la parcelle d’observation de la Manche
La parcelle d’observation de la Chambre d’agriculture de la Manche est située sur la commune de Saint-Pair sur Mer, à 10 km de Bréville sur Mer où se situe l’entreprise productrice de débris coquilliers. La parcelle est principalement en rotation maïs ensilage, blé. Le sol est profond, de type sableux à sable argileux. La CEC varie de 6 et 8,5. Le pH est en moyenne de 6 et le taux de saturation oscille entre 72 à 80 %. Le taux de matière organique est en moyenne de 3.Plusieurs contrôles visuels et comptages ont été effectués à différents stades de développement du blé. Il n’y a pas eu de différences notables selon les modalités d’épandage (couleur, hauteur, densité du peuplement, etc.). Le rendement du blé est globalement bon pour la localité puisqu’il est en moyenne de 76,9 quintaux pour une humidité ramenée à 15 %. Il varie assez fortement (minimum de 66,5 qx/ha et maximum de 84,7 qx/ha) selon les modalités : l’écart type de l’essai est de 6 quintaux/ha. De manière générale, le rendement du blé ayant reçu des débris n’est pas affecté négativement mais l’absence de répétitions ne permet pas d’affirmer que le rendement est significativement amélioré.Le pH a augmenté sur les modalités avec épandage à dose double du produit broyé finement (pH +0.4 pour la modalité “Huitres” et +0.6 pour la modalité “Coquilles Saint-Jacques”. Ces tendances devront être confirmées par les futures analyses de sol.Nous n’avons pas constaté non plus d’effets significatifs sur le taux d’humidité du grain ou le poids spécifique (graphique 1).
Retour d’expérience sur la parcelle d’observation du Calvados
La parcelle d’observation de la Chambre d’agriculture du Calvados est située sur la commune de Sainte-Honorine des Pertes à 4 km à l’Ouest de Port-en-Bessin.La parcelle suit une rotation de type maïs ensilage-blé-orge, avec un bon potentiel de production (90 à 95 quintaux par ha en blé, 16 à 17 tonnes de MS par ha en maïs), elle reçoit des apports réguliers de fumiers bovins (35 t/ha, tous les 3 ans, au printemps avant maïs). Le sol est un limon profond, sain, sans cailloux. Le taux de matière organique est un peu juste (2 %). Le pH est neutre (pH 7.2). Sur ce paramètre, une variabilité intra-parcellaire assez forte a été révélée (pH de 6.8 à 7.8). On note une certaine sensibilité à la battance. Les teneurs en P2O5, K2O et MgO sont élevées. L’exploitant a déchaumé la parcelle dans la semaine suivant l’épandage des débris puis semé de l’orge d’hiver.Plusieurs contrôles visuels et comptages ont été effectués à différents stades de développement de l’orge. Globalement, rien de significatif n’est ressorti de ces visites : l’orge s’est plutôt bien “comportée”, quels que soient les traitements : pas d’écart avec les témoins sans broyat, même couleur, même densité du peuplement, etc. Les rendements à la récolte de l’orge varient suivant les modalités entre 81,5 et 93,6 quintaux par ha, avec une moyenne à 90 qx. Là aussi, il est difficile d’attribuer le bénéfice ou gain de rendement à l’apport ou non des coquilles : les écarts ne sont pas suffisamment significatifs (graphique 2). Le moins bon rendement est lié à un effet compactage du sol, à cause de l’utilisation d’un 1er matériel d’épandage qui s’est avéré peu approprié à l’apport des coquilles. La modalité Huitres-broyage fin-dose simple (H-D1-F) ne figure pas dans le graphique suite à un problème à la pesée.Au sol, quelques éclats de coquilles étaient encore visibles, par-ci, par-là, tout au long de l’année mais ils ne représentaient en aucun cas une gêne au moment du semis, à la levée, à l’installation du peuplement végétal, au développement racinaire ou à la croissance de la culture.Un effet chimique de l’apport de coquilles broyées est escompté. Il est pour l’instant trop tôt pour se prononcer objectivement sur cet effet. Les évolutions au niveau des analyses de sol après 6 mois montrent quelques variations de pH (+ 0.2 à 0.5 points par rapport au témoin sans coquille) mais il est difficile de les attribuer réellement au broyat (variation saisonnière de pH). En la matière, il convient d’attendre les prochaines séries d’analyses pour se prononcer.
Les premières conclusions à tirer de ces deux expériences en grandes cultures
- Aucune contre-indication à l’utilisation des coquilles broyées en terme “d’effet mécanique”.
- Pas d’effet négatif des coquilles sur le rendement.
- Effet chimique à confirmer.
Une filière de valorisation locale à construire
Une fois l’ensemble des travaux d’expérimentation conduits et les conclusions validées, d’autres étapes pourront s’engager telles que la définition et la validation officielle d’une charte d’utilisation des sous-produits coquilliers ou l’organisation concrète de la filière d’approvisionnement et de commercialisation. Affaire à suivre donc…
Valcoqagri est un projet porté par Normandie Fraîcheur Mer et cofinancé par le CG 50, le CG 14, le Conseil régional de Basse-Normandie, l’Etat français et le Fond Européen pour la Pêche