Des systèmes bovins viande résilients en Normandie : c’est possible !
Les fermes Normandes sont soumises aux aléas de la conjoncture, du climat, de la santé animale, du facteur humain et de la PAC. Cet environnement complexe n’a pas le même impact sur toutes les exploitations : certaines y résistent mieux que d’autres. On parle alors d’exploitations résilientes. Un groupe d’éleveurs de la Manche a échangé sur cette notion.
La résilience désigne la capacité pour un corps, un organisme, une organisation ou un système quelconque à retrouver ses propriétés initiales après une altération. Ce concept est utilisé dans plusieurs contextes, mais en économie la résilience est la capacité à encaisser les chocs et à revenir sur sa trajectoire de stabilité ou de croissance.
Les réseaux d’élevage Inosys observent les exploitations résilientes
L’étude « Résilience des systèmes bovins laitiers et bovins viande français » réalisée par l’Institut de l’élevage en lien avec les réseaux d’élevage Inosys a permis d’identifier, parmi 100 exploitations allaitantes suivies au niveau national sur la période 2007/2014, 30 fermes résilientes. Malgré les aléas enregistrés sur la période, ces exploitations ont trouvé des solutions pour maintenir un revenu moyen supérieur à 1,5 SMIC/UMO alors que d’autres n’y sont pas parvenues. La période 2007/2014 a été « riche » en aléas : beaucoup d’épisodes sanitaires (FCO, virus de Schmallenberg) sont venus perturber les performances animales et les marchés. La flambée des matières premières en 2008-2009 et la sécheresse de 2011 ont impacté fortement le niveau des charges. Les évolutions de la PAC et le yoyo des prix de la viande sur cette période ont fortement fait varier les produits d’exploitation. L’objectif de l’étude « résilience » est de mettre en évidence les stratégies et les décisions prises par les exploitations qui résistent le mieux à ces nombreux et divers aléas. Le tableau 1 reprend les caractéristiques de chacun des deux groupes identifiés.
L’étude a comparé des fermes « résilientes » et « non résilientes »
Les fermes résilientes ont un niveau de disponible par UMO supérieur à la moyenne et une rémunération permise/UMO qui s’est maintenue au-dessus de 1,5 SMIC/UMO.
Les fermes résilientes ont une SAU égale ou supérieure aux non-résilientes mais des performances techniques proches. La part d’herbe, le chargement, la consommation de concentrés/UGB, la production de viande/UGB sont équivalents. Le taux de mortalité est généralement plus faible dans les fermes résilientes.
La différence de rémunération s’explique principalement par les facteurs technico-économiques. La productivité par unité de main d’œuvre est significativement plus élevée dans les exploitations résilientes et les coûts de production sont plus faibles. Une meilleure maîtrise des charges opérationnelles (figure 1) et une plus forte dilution des charges de structure, liée au volume de production, expliquent en partie la meilleure efficacité économique caractérisée par les critères EBE/UMO et EBE/produit brut (figure 1).
Les éleveurs donnent leur avis sur la résilience...
Parmi les 30 exploitations bovin viande résilientes repérées dans l’analyse statistique, une est située dans la Manche. Il s’agit d’un naisseur engraisseur de jeunes bovins qui fonctionne avec 1,5 UMO dont 0,5 salariée. L’exploitation compte 133 ha de SAU dont 103 d’herbe, 20 ha de maïs fourrage et 10 ha de céréales d’hiver, le tout destiné à l’alimentation d’un troupeau de 85 charolaises et à l’engraissement de 90 taurillons. La rémunération permise était de l’ordre de 2 SMIC/UMO sur la période 2007-2009 et proche de 3 SMIC entre 2012 et 2014.
Comme pour les observations nationales, les performances techniques du troupeau allaitant sont dans la moyenne. Les critères mortalité, IVV, groupement des vêlages sont perfectibles. Par contre cette ferme se caractérise par une bonne productivité de la main d’œuvre : 47 t de viande vive produites par UMO. Les coûts opérationnels sont maîtrisés du fait d’une autonomie alimentaire élevée, qu’un bon potentiel pédoclimatique favorise, et d’un potentiel de croissance des bovins intéressant. Les charges de structure sont minimisées et la situation financière saine. Bientôt à la retraite, l’éleveur a limité les investissements depuis plusieurs années pour faciliter la reprise de son exploitation. Cet élevage se distingue aussi par le développement récent de la commercialisation de ses réformes en circuit court sur une boucherie artisanale mais aussi en colis pour quelques bêtes par an. Dans le même esprit, l’achat de broutards pour l’engraissement se fait en direct et selon les opportunités.
Comme prévu dans l’étude et sur la base de cet exemple concret, il a été organisé une rencontre entre plusieurs éleveurs pour échanger sur cette notion de résilience et sur les solutions, de leur point de vue, à activer pour résister aux différents aléas.
...trouvent des solutions et proposent un cadre
Les 5 éleveurs, principalement du Cotentin, participant à cette rencontre ont évoqué les aléas repérés dans l’étude nationale avec des spécificités locales dont les excès d’humidité qui ont rendu, certaines années, les récoltes d’ensilage d’herbe et de foin compliquées, et cela d’autant plus dans les zones de marais. Les éleveurs se sont plus particulièrement exprimés sur les aléas internes à l’exploitation. Les aléas humains type santé et entente entre associés dans les sociétés, mais aussi maladie du troupeau, sont considérés comme importants. Enfin, les éleveurs présents relativisent les aléas externes « cela fait partie du métier », « il faut faire avec », par contre, l’accumulation des difficultés internes et externes est redoutée.
Les solutions avancées par le groupe pour faire face aux aléas ont été nombreuses. L’optimisation des aides notamment du second pilier, l’agrandissement raisonné des surfaces et du cheptel, le suivi des animaux, la conduite raisonnée des surfaces fourragères, la recherche de l’autonomie fourragère, la prévention sanitaire, l’organisation rationnelle du travail, le recours au travail salarié, le maintien de réseaux d’entraide et d’échanges, la volonté d’un bon équilibre entre la ferme et la vie privée... autant de solutions mises en place par les uns et les autres selon leur situation. La commercialisation en circuit court a fait l’objet de discussion concernant l’adaptation à la volatilité des cours de la viande.
Plus globalement les éleveurs ont insisté sur le fait qu’il fallait d’abord « savoir ce qu’on veut » et ensuite trouver les solutions techniques et la bonne organisation qui va bien. Enfin il est clairement apparu la nécessité d’un accompagnement adapté qui prennent en compte l’exploitation dans sa globalité. Les éleveurs insistent sur la nécessité d’échanger en groupe, d’être ouverts aux autres et de s’informer constamment.