Grille tarifaire : les producteurs encore face au mur Lavallois
La FDSEA 61 et les jeunes Agriculteurs dénoncent la modification de grille tarifaire de Lactalis. Pour s’attaquer au géant lavallois, le syndicalisme mise d’abord sur la communication. Les éleveurs sont invités à participer aux jeux-concours proposés par l’industriel sur ses produits.
llll Lactalis modifie la grille tarifaire et développe ainsi l’opacité. Le syndicalisme craint une comparaison plus compliquée des prix pratiqués par les entreprises. Explications d’Anne-Marie Denis, présidente de la FDSEA 61.
>> Concrètement, que reprochez-vous à la nouvelle à la nouvelle grille tarifaire de Lactalis ?
La première surprise, c’est son changement de calcul des taux de matières grasses et protéiques (33-41 au lieu de 32-38). On a un écart de prix de 14 € entre les deux. Cet artifice permet d’afficher un prix de base avec 14 € de plus. Il faudra ensuite les défalquer selon les taux. Lactalis tient son prix. Mais, la comparaison devient plus compliquée. Le syndicalisme alerte donc les agriculteurs : ils doivent retirer 14 € au tarif de Lactalis pour retrouver leur prix de base réel. De plus, nous venons d’apprendre que Lactalis reprendra 11 € d’ajustement contractuel ou de montant à-valoir en avril. Donné, repris c’est volé.
>> Vous craignez que Lactalis fasse perdre le sens du prix ?
Les agriculteurs savent très bien compter. Cependant lors des manifestations de l’été dernier, la FDSEA et les JA se sont aussi appuyés sur l’opinion publique. Il n’est pas forcément facile d’expliquer au consommateur que malgré son prix apparemment plus élevé, Lactalis paye mal le producteur. Je crains donc qu’on perde le sens de la valeur du produit. Dans un autre domaine, je me rappelle bien le passage du franc à l’euro. Au début, tout le monde convertissait. Aujourd’hui, personne ne sait combien coûte sa baguette en franc. Lors de futures négociations avec Lactalis, nous n’aurons donc plus de références par rapport aux autres entreprises.
>> Lactalis justifie sa démarche par un alignement sur les références des autres pays...
Sauf que ces pays ne sont pas non plus sur le 33-41. C’est juste une excuse. L’industriel nous indique aussi qu’il s’agit de mieux négocier avec les GMS. C’est de la poudre aux yeux. Je n’y crois pas.
Pour avoir un prix correct, il faudrait surtout que Lactalis et la grande distribution jouent enfin la transparence. D’ailleurs, la loi Sapin 2 l’impose. Manipuler notre facture de lait ne nous permettra pas d’être mieux rémunérés.
>> Vous dites que « Lactalis monte artificiellement le prix du lait ». C’est un bon coup de « com » de l’industriel ?
C’est un bon coup de «com» qui lui permettra de tirer les prix vers le bas. Et pour l’instant, Lactalis ne respecte pas la loi Sapin 2. Tous les agriculteurs attendent désormais la proposition de contrat qui rentre dans le cadre légal. Seuls des contrats individuels ont été proposés.
Depuis 2 ans, nous réduisons nos coûts, nos charges. Certains d’entre nous se sont séparés de leurs salariés. On réduit tous nos frais au détriment de l’environnement agricole. Nous avons également stoppé nos investissements. Attention, nos exploitations ne pourront pas survivre sans se développer. Une entreprise qui n’investit plus est une entreprise qui meurt.
>> Lactalis est très présent dans l’Orne. Comment comptez-vous contester cet industriel sans manifestation ?
La mobilisation ne signifie pas automatiquement une manifestation. La manifestation reste une forme de mobilisation. La sollicitation des médias en est une autre. Nous avons choisi de protester en utilisant la communication. Nous avons donc demandé aux agriculteurs de participer à tous les jeux sur les produits Lactalis. L’industriel propose à ses clients de gagner un tour du monde en achetant sa plaquette de beurre. Et s’il proposait plutôt aux producteurs de lait un prix rémunérateur ?
>> Vous jouez sur les symboles ?
Oui. Car Lactalis réalise des promotions sur le dos des éleveurs. Nous voyons fleurir dans les rayons de nos supermarchés des rabais et autres outils promotionnels sur les produits ! Nous refusons que ces derniers soient ainsi bradés. L’outil promotionnel ne profite qu’aux industriels donnant une meilleure visibilité à leurs marques et aux distributeurs. Cette situation les conforte dans leurs guerres des prix ! Nous ne pouvons plus l’accepter ! La loi Sapin 2 intègre un plafond des promotions de 30 % : Messieurs les industriels, Messieurs les distributeurs, respectez la loi comme les éleveurs la respectent ! Nous invitons donc les éleveurs à jouer. Des cadeaux de 20 000 € peuvent être offerts (lire l’encadré). On utilise le mode de communication de Lactalis pour passer notre message. Si nous avions commencé par aller manifester dans la rue, cet industriel aurait utilisé les médias pour dire : « les méchants syndicalistes sont «antitout» puisque le prix de base est plus élevé ». Nous aussi nous avons des juristes pour comprendre cet enfumage. C’est vraie bataille de communication.