Clotilde Eudier
L’alimentation a retrouvé sa place centrale
Agricultrice et élue au Conseil Régional de Normandie, Clotilde Eudier, vice-présidente de la Région Normandie en charge de l’agriculture, donne ses premières impressions sur la crise sanitaire qui sévit depuis quelques mois et ses conséquences sur le monde agricole.
Agricultrice et élue au Conseil Régional de Normandie, Clotilde Eudier, vice-présidente de la Région Normandie en charge de l’agriculture, donne ses premières impressions sur la crise sanitaire qui sévit depuis quelques mois et ses conséquences sur le monde agricole.

>> Quel est votre regard sur la crise sanitaire actuelle ?
L’annonce du confinement a été brutale. L’ensemble du monde agricole a été relativement privilégié et a pu continuer à travailler et à vendre les produits sous certaines formes. Ce qui m’interpelle, c’est que le 25 février dernier, la Région Normandie était au salon de l’agriculture à Paris afin de communiquer et promouvoir les métiers liés à l’agriculture. A ce moment-là, la profession était critiquée, on parlait beaucoup d’agribashing. C’est surprenant comme une crise peut transformer l’opinion. Aujourd’hui les consommateurs ne nous associent plus au glyphosate, mais nous remercient d’avoir continué à travailler et donc à les nourrir pendant cette période difficile. J’ai le sentiment que l’alimentation a retrouvé sa place centrale et que les Français ont compris l’importance d’avoir une autonomie alimentaire nationale. C’est le côté positif de la crise.
>> Que révèle cette crise concernant les liens entre les acteurs du monde agricole ?
Les agriculteurs ont montré qu’ils étaient opérationnels pour produire pleinement face à la demande sociétale et pour éviter tout risque de pénurie. Les acteurs du monde agricole ont été solidaires, il faudra poursuivre cela et continuer à les fédérer afin de trouver des solutions ensemble. La filière cidricole normande, très en difficulté pendant la crise, compte deux interprofessions. Ils ont travaillé ensemble afin de proposer conjointement des solutions pour l’avenir comme la gestion des stocks, la communication et la promotion de leurs produits. Au niveau de la Région Normandie, nous organisons régulièrement des audioconférences avec les services de la Draaf et les représentants des OPA afin de connaître les difficultés de chaque filière pour pouvoir les résoudre.
>> Quelles limites a démontré la crise sanitaire au niveau agricole ?
Elle a révélé qu’il fallait peut-être penser à la relocalisation de certaines productions. Je pense à la filière lin par exemple. La Normandie compte des teillages de lin privés et des coopératives mais la production est envoyée dans des filatures étrangères. Nous sommes dépendants de la Chine à ce niveau et nous avons pris de plein fouet le Covid-19. La production linière de 2020 ne pourra sûrement n’être transformée qu’en 2022. Le travail sur la relocalisation d’une filature va débuter avec l’ensemble des acteurs en juin.
>> Avec l’arrêt de la RHD et le ralentissement des marchés à l’export, certaines filières ont été fortement impactées. Quelles solutions avez-vous mises en place pour accompagner les professionnels ?
La Normandie possède sa propre monnaie régionale, le rollon. Nous avions lancé une plateforme numérique qui identifiait des points de vente directe où il était possible de payer en rollon : « Au rendez-vous des Normands ». Nous avons utilisé cet outil pour inciter les producteurs locaux à s’inscrire pour que les consommateurs puissent consulter les lieux où il est possible de s’approvisionner localement près de chez eux. A l’heure actuelle nous comptons plus de 800 producteurs et pêcheurs d’inscrits et près de 60 000 visites sur le site. Il n’y a pas que des produits alimentaires, les horticulteurs, pour qui la crise a un impact catastrophique, ont également pu se référencer. Sinon, nous travaillons avec les filières qui ont le plus souffert comme l’horticulture, la cidriculture, la conchyliculture, la filière équine pour voir comment rattraper le retard et définir les prémices d’un plan de relance, conjointement avec la Draaf et la Chambre régionale d’agriculture.
>> Vous parlez d’approvisionnement local, comment maintenir le lien qui semble s’être recréé entre les producteurs et les consommateurs ?
En continuant de faire des produits de qualités, en communiquant positivement sur la profession et en promouvant les produits locaux. Les Français ont montré pendant cette période de crise qu’ils étaient attachés à leur agriculture. Il y a eu une belle augmentation des ventes dans les drives, sur les marchés et chez les producteurs, il faut que cela perdure et continue de se développer après la crise. Il faut que les consommateurs gardent les habitudes qu’ils ont prises.