Les 70 ans du débarquement en Normandie
L’enfer est dans le pré
Blocage dans le bocage. Les Américains mettront plus d’un mois, avant d’ouvrir la route de la Bretagne le 31 juillet.
Fruits, bois de chauffage, enclos. Cachette, affût, bourbier, boucherie. En 1944, les haies des bocages du Bessin, du Cotentin et de la Vire, ont une fonction économique primordiale dans les campagnes. Elles sont extrêmement bien entretenues, maillent d’immenses parties du territoire, et constituent encore aujourd’hui “l'image de la grasse, de la riante Normandie”. Pourtant, c’est bien là, dans les chemins creux, à l’ombre des bosquets, au pied de l’aubépine et des noyers, que les soldats américains vivront l’enfer d’une guerre d’usure, où les hommes tombent par centaines, sous le crachat d’une mitraille invisible. Et sans cesse recommencer. Chaque talus, chaque buisson gagné, sont des victoires bien dérisoires face aux pertes subies, 1 000 morts du kilomètre entre la Haye-du-Puits et Lessay et 5 000 hommes pour la seule prise du mont Castre. Les troupes alliées y laissent leur moral. “Cette foutue guerre peut bien durer dix ans”, se lamente un général américain. Car au passage des haies et des chemins creux, les chars alliés montrent leurs ventres vulnérables aux Panzerschreck. Car la suprématie aérienne alliée n’est d’aucune utilité dans ce labyrinthe végétal. Car les Allemands retranchés connaissent bien le terrain pour y avoir déjà manœuvré. Car du 6 au 26 juin, jusqu’à la prise de Cherbourg, l’ennemi a eu tout le loisir de prendre position. Car les Allemands avaient un plan secret dans le bocage, la ligne Mahlmann ou “mur du Cotentin”.
Tapis de bombes
Les généraux alliés sont pourtant bien forcés de mettre leurs hommes à découvert ; Eisenhower veut une guerre de mouvement. Et face au blocage des troupes anglo-canadiennes à Caen, c’est encore dans le bocage qu’il semble le plus facile de percer le front ennemi. Durant ce mois de juillet 1944, les alliés finissent par prendre de l’expérience. Les tanks sont équipés de “coupe-haies”, des becs tranchants bricolés avec les hérissons tchèques récupérés du mur de l’Atlantique. Au prix fort, les alliés arriveront à prendre la Haye-du-Puits, Sainteny et Saintt-Lô. Mais la bataille des haies ne trouvera d’issue qu’avec le lancement de l’opération Cobra. Les Américains éprouveront la technique du tapis de bombes et le 25 juillet, entre la Chapelle-Enjuger et Hébécrevon, 4 000 tonnes de projectiles seront larguées pour seulement 12 km2 de bocage. L’artillerie américaine s’engouffre ensuite rapidement dans la brèche. C’est un formidable appel d’air pour les hommes et le matériel, qui commençaient à s’accumuler à partir de la tête de pont américaine de Sainte-Mère-Eglise. Le 31 juillet, les portes de la Bretagne sont ouvertes, au sud d’Avranches.