Les éleveurs progressent ensemble sur la conduite des mélanges protéagineux/céréales ensilés
Les éleveurs de Normandie cherchent à réduire les achats de tourteaux de colza ou de soja, en produisant plus de protéines sur les exploitations.
Pour y parvenir, les légumineuses fourragères reprennent de l'importance dans les assolements : en cultures pérennes, pour les luzernes, les trèfles violets et blancs, ou en dérobées pour les trèfles annuels. Les récoltes de maïs étant tardives en Normandie, les températures et les durées du jour sont défavorables à l'implantation de ces derniers. Les dérobées après maïs pratiquées classiquement étaient les RGI mais ils ne répondent pas toujours aux attentes des éleveurs en terme de valeur alimentaire.
De plus, les agriculteurs engagés dans une démarche de simplification du travail du sol cherchent des couverts structurants et peu consommateurs d'eau avant implantation du maïs. Ils se tournent donc vers la féverole, pour sa racine pivot « décompactante », le pois et la vesce pour leurs racines fasciculées profondes et fixatrices d'azote.
Pour atteindre ces objectifs zootechniques et agronomiques, de plus en plus d'éleveurs s'intéressent aux mélanges protéagineux/céréales.
Des résultats qui reflètent les progrès des éleveurs dans la conduite de la culture
Les éleveurs visent une récolte de fourrage de 5 à 6 T de MS, avec 160 g de MAT/kg de MS au minimum à l'auge pour avoir un fourrage améliorateur en terme de protéines.
Des rendements qui se tiennent malgré une année peu favorable (graphique 1)
Le début de printemps froid en 2016 n'était pas propice au développement des protéagineux qui ont besoin de chaleur pour faire du volume. L'importance de l'effet « mélange » s'est confirmée pour la complémentarité des différentes espèces qui s'expriment différemment en fonction des années. L'année dernière, la vesce s'était peu exprimée, les pois ayant pris beaucoup de place dans les mélanges. Cette année, les pois fourragers et la vesce, plus tardifs que les pois protéagineux ont fait plus de végétation que ces derniers. Malgré des conditions défavorables, les rendements régionaux atteignent les 6 tonnes de matière sèche en moyenne, avec des récoltes échellonées de fin avril à fin mai. Dix jours de plus au printemps font presque gagner une tonne de matière sèche.
On a observé des attaques importantes de botrytis sur féverole pour les semis les plus précoces (début à mi-octobre), qui ont impacté le développement de la dérobée. Il semble donc plus intéressant de positionner les semis fin octobre/début novembre pour réduire la pression « maladie » et avoir un bon départ en végétation. De plus, des semis tardifs diminuent les risques de gel et la pression des adventices et des ravageurs. Le facteur limitant pour retarder le semis reste évidemment la portance de la parcelle, la priorité étant de ne pas tasser le sol pour préserver sa structure.
Des teneurs en protéines qui atteignent les objectifs fixés (graphique 2)
Cette année, la teneur en protéines (MAT : Matière Azotée Totale) à la récolte est de 16,5 % en moyenne au niveau régional.
La teneur en MAT augmente avec la part de légumineuses dans le mélange. Plus de 70 % de légumineuses dans le mélange récolté assure une teneur en MAT de 16 %. Afin d'atteindre cet objectif, il est important de limiter la part des céréales dans le mélange à 15/20 kg /ha maximum au semis. Plus le semis est précoce, plus il faut réduire cette densité, l'automne favorisant le développement des graminées au détriment des légumineuses. On préfèrera l'avoine ou le triticale à l'orge et au seigle. Ces derniers « diluent » la teneur en protéine, l'orge épiant trop précocement et le seigle étant trop concurrentiel.
Une conservation délicate à suivre de près
Ces mélanges riches en protéagineux sont difficiles à conserver. En effet, les 30 % de MS (matière sèche) nécessaires pour une bonne conservation de l'ensilage sont rarement atteints, même avec 3 jours de préfanage. La coupe directe est à bannir et les faucheuses conditionneuses qui regroupent des andains de 9 m ne sont pas adaptées, entrainant des pertes par jus au silo. De plus, les mélanges qui comportent beaucoup de céréales, plus sèches que les protéagineux, ne sont pas faciles à tasser et présentent parfois des problèmes de butyriques.
La conservation « en sandwich » dans le silo, avec un RGI ou un ensilage d'herbe, plus riches en sucres semble intéressante.
Les premiers retours sur la conservation sont hétérogènes et ce point délicat nécessite encore un suivi et un travail collectif pour être optimisé.
Vous pourrez trouver les résultats de cette « recherche » collective dans une note technique sur ces nouveaux « méteils » très bientôt sur les sites internet des Chambres d'agriculture de Normandie.
Avec la participation financière du Conseil départemental de la Manche et du CASDAR
La force du collectif !
Les objectifs visés sont-ils atteignables ? Avec quel mélange ? Quelle conduite ? La conservation est-elle possible en ensilage ? Les vaches vont-elle apprécier ce nouveau fourrage ? Est-ce rentable ?
Pour trouver les réponses à ces questions et progresser rapidement pour maîtriser l'innovation, la mise en place d'une démarche de « recherche » collective s'imposait. 43 agriculteurs des groupes techniques des Chambres d'agriculture de Normandie (dont 27 éleveurs Manchois), ainsi que les lycées agricoles et la ferme expérimentale ont testé, observé, mesuré et analysé 150 modalités. La mutualisation et la synthèse des résultats ont permis d'échanger sur les expériences, les réussites et les problèmes de chacun. Les éleveurs impliqués dans cette démarche maîtrisent désormais la conduite des mélanges protéagineux/ céréales et sont capables d'évaluer les conditions de réussite de la culture et la faisabilité sur leur exploitation. Ils sont également les « diffuseurs » de la technique aux nouveaux intéressés.
Une nouveauté dans l'innovation
Certains agriculteurs ont testé l'incorporation de trèfle squarrosum à hauteur de 8 à 15 kg en remplacement de la céréale pour un mélange « 100 % légumineuses ». Le trèfle squarrosum est préféré au trèfle incarnat en mélange avec les protéagineux pour sa floraison plus tardive et son port dressé qui facilite la fauche.
Le trèfle s'est bien développé et les teneurs en MAT de ces mélanges 100 % protéagineux ont dépassé les 20 %. Cependant, l'hiver 2015 fut exceptionnellement doux et propice à l'implantation des trèfles. Ce résultat n'est donc pas à généraliser. Un semis fin octobre reste extrêmement risqué. Cette année, certains éleveurs reprennent cette option en affinant la technique. Ils sèment le trèfle juste après la récolte de céréales, qu'il récolte une première fois en automne. Puis, ils sursèment en direct les protéagineux dans le trèfle, qui repoussera avec le mélange pour la coupe de printemps.