Normandie : terre de loups jadis... Et de demain à nouveau ?
A lire chez OREP Editions, « Le loup en Normandie ». Sous la plume de Jean-Marc Moriceau (professeur à l'université de Caen et historien des campagnes françaises), on y apprend que des collines du Perche aux falaises du Pays de Caux, et de la Bresle jusqu'au Couesnon, on le trouvait partout jusqu'aux années 1880. À la fin de cette traque, l'auteur débusque les derniers loups historiquement présents avant de s'interroger sur leur éventuel retour. Cette histoire des loups en Normandie révèle un apport culturel méconnu mais pourtant indéniable.
A lire chez OREP Editions, « Le loup en Normandie ». Sous la plume de Jean-Marc Moriceau (professeur à l'université de Caen et historien des campagnes françaises), on y apprend que des collines du Perche aux falaises du Pays de Caux, et de la Bresle jusqu'au Couesnon, on le trouvait partout jusqu'aux années 1880. À la fin de cette traque, l'auteur débusque les derniers loups historiquement présents avant de s'interroger sur leur éventuel retour. Cette histoire des loups en Normandie révèle un apport culturel méconnu mais pourtant indéniable.
(18,00 e, format : 200 x 265 mm, 200 pages).
La Roche-Mabile (61), le 22 décembre 1888, le dernier loup de l'Orne succombe au piège posé par Hippolyte Gautier. Cinq années auparavant, dans le même département, c'est grâce à la strychnine que Léon Pelluet (fermier à Chahains) se débarrasse d'un couple gîtant en forêt d'Ecouves. En cette fin des années 1880, le Canis lupus entre en réminiscence dans la région mais la Normandie a été, des siècles durant, terre de leux.
Une toponymie très riche
Traces toponymiques de cette présence ancestrale, les communes de Saint-Loup au sud-est d'Avranches (50) ou bien encore au sud de Bayeux (14). Les noms de lieux-dits évoquant l'animal sont aussi légion. « Chanteloup » dans l'Orne (Coucerault, Igé, Saint-Julien-sur-Sarthe, Ménil-Hermei), dans le Calvados (Ecrammeville, Jurques, Landelles, Saint-Loup-Hors, Trungy) et dans la Manche (forêt de l'abbaye de Lucerne). On retrouve également un « Chêne au loup » à Mongaroult et Le Renouard (61) et à Montpinçon et Neuilly (14). Sans être exhaustif, on peut y ajouter « la fosse au loup, les louveaux, la louvière, la queue du loup, loup vendu, loup pendu, gratteloup, jambe de loup, pisseloup, hure de loup... » Du Moyen-âge à la fin du XIXe siècle, Canis lupus a donc fait partie du quotidien de nos campagnes.
Son standard : « une bête ayant le poil gris, mêlé de noir, blanchâtre sous le ventre, la tête grosse, armée de dents grosses et longues, d'oreilles courtes et droites », décrivait le normand Clamorgan en 1566. Il pèse une quarantaine de kilogrammes et mesure 2 m du museau au bout de la queue. Certains font exception. Un procès-verbal daté du 9 mai 1886 fait état d'une louve de la forêt d'Ecouves abattue à Lignières-la-Doucelle (61) : un quintal sur la balance.
Un déclin progressif
Leux et leuves abondent au Moyen-âge. De la Saint-Michel 1325 jusqu'à Pâques suivant (soit en 6 mois), 71 loups dont 60 adultes sont capturés dans les vicomtés de Coutances, Valognes et Carentan (50). Du 21 mai au 12 septembre 1376, 39 loups sont abattus au sud de la plaine de Caen, de Saint-Germain-le-Vasson à Saint-Aubert-sur-Orne (14).
Mais au gré de la pression cynégétique et de la déforestation, la population décline. De septembre 1797 à septembre 1798, année qui fait l'objet d'un recensement national, point de loup dans le Calvados, seulement 10 dans la Manche (dont 8 louveteaux) mais encore 29 dans l'Orne dont 14 adultes. C'est dans les réduits forestiers que se joue la fin du loup dans la seconde moitié du XIXe siècle. «Traqués par une population de mieux en mieux armée, les canidés sauvages sont en situation de repli. La plupart d'entre eux se concentrent dans les régions frontières qui forment autant de zones tampons avec les départements voisins (Mayenne, Sarthe, Oise et Somme» , relate Jean-Marc Moriceau dans « Le loup en Normandie ». En tête des animaux nuisibles, le sanglier est venu le détrôner..
Du gibier aux animaux d'élevage...
Il est vrai que dans une France qui crie encore famine, la cohabitation avec l'élevage domestique pose problème. Passe encore qu'il s'attaque au gibier sauvage, comme ce cerf retrouvé mangé par les loups à la lisière de la forêt de Brix (50), le 26 décembre 1553. Mais moutons, cochons domestiques, veaux, et également gros bétail, voire chevaux, sont également au menu au gré des opportunités du canidé. Au-delà des prédations directes, l'effet « d'over killing » est également dévastateur. Animaux blessés, stressés, égarés, avortements (...) aboutissent à l'anéantissement de troupeaux entiers que parfois la collectivité dédommage en partie.
... En passant par l'homme
Mais le leu est également un loup pour l'homme d'autant plus s'il est enragé. Il faudra attendre le 6 juillet 1885, date à laquelle Pasteur a découvert le vaccin, pour contrer la rage. En attendant, Michel et Jacquine Delan, frère et soeur de 18 et 20 ans, succombent le 30 décembre 1724 après avoir été mordus deux mois auparavant par un loup enragé au Mesnil-Tôve (50).
A Montchauvet (14), le 1er juin 1674, une grand-mère de 80 ans gardait les bestiaux de sa fille Marguerite dans la vallée de Druance. Surgit un loup enragé qui l'étrangle après lui avoir mangé une partie de la tête, du nez, des oreilles et autres parties du corps. « Les périodes de guerres civiles, en réduisant la pression sur la chasse et en multipliant les cadavres d'hommes et d'animaux, suscitaient les appétits du carnassier », avance comme autre explication Jean-Marc Moriceau..
Et demain ?
Et de conclure : « par moments, les pâturages situés aux abords des forêts normandes présentent une anticipation de ce que nous voyons aujourd'hui dans les alpages, et bien au-delà, dans toutes les régions où la recolonisation du loup s'effectue depuis l'automne 1992. Présent dans les trois quarts de la France, comment pourrait-il éviter de retrouver à nouveau la Normandie ? En l'absence de tout changement politique ou juridique à son égard, son retour n'est qu'une question d'années. Cette histoire des loups en Normandie donne quelques leçons à méditer par les gestionnaires de la faune sauvage, les représentants du monde agricole et les collectivités territoriales. L'habitat du loup est varié et ses capacités d'adaptation et de résilience étonnantes. Son opportunisme et son sens des rapports de force, évidents. La prédation qu'il peut exercer ne saurait se limiter à un seul secteur et on a vu à quel point l'élevage normand a eu du mal à s'en préserver. Pour autant, l'impact du loup sur l'économie et la société doit être relativisé. Il n'y a que dans nos imaginaires où il s'exerce sans limite ». Rendez-vous dans 10 ans....
Dans une boucherie de Sarceaux (61)
A la fin de l'hiver 1859, un animal malfaisant s'introduit dans une boucherie de Sarceaux (61). Il fait provision de bons morceaux de viande. Le propriétaire des lieux, Jacques Alliot, arrive dans la nuit du 18 au 19 février, à l'enfermer sur place à l'occasion d'une nouvelle incursion du malfaiteur.
Alors il peut l'identifier. Il s'agit d'un loup âgé de deux à trois ans. Charognard, Canis lupus en est souvent réduit à s'aventurer nuitamment dans les abattoirs et les boucheries de la région. Ce type de prise signale que les jours du loup sont comptés en Normandie.