Patrice Gauquelin (président d’EDT Normandie) : l’agriculture de précision au cœur des ETA (Entreprise de Travaux Agricoles)
L’assemblée générale d’EDT Normandie (Entrepreneurs Des Territoires) se tient demain vendredi à Bagnoles-de-l’Orne, à 15 h. Il y sera question « d’agriculture de précision : une opportunité pour les ETA » mais aussi de l’évolution de la relation entre l’agriculteur et son prestataire de services. Le point avec Patrice Gauquelin, son président.
>> Il y a un an dans ces mêmes colonnes, vous exprimiez votre inquiétude quant au niveau d’encours des ETA (Entreprise de Travaux Agricoles) dans les exploitations. La situation s’est-elle améliorée ?
Les trésoreries sont moins exsangues que l’an dernier mais elles restent encore trop fragiles. On peut espérer que le plus dur est derrière nous mais les agriculteurs doivent retrouver des niveaux de prix pour passer de l’orange au vert, pour sortir enfin de l’ornière. On le constate fort bien avec le prix du lait. Les ETA rencontrent plus de difficultés de paiement chez les agriculteurs qui livrent chez les moins-disants.
Autre élément : la récolte de maïs a été abondante et de qualité. Ce qui signifie que nous avons bien travaillé et que les élevages se sont refait des stocks fourragers. C’est une excellente chose pour les uns et pour les autres.
>> Justement à propos de l’ensilage de maïs, ça devient de plus en plus technique ?
Les éleveurs sont de plus en plus vigilants sur la qualité de hachage et l’éclatage des grains comme en témoigne le succès de la journée organisée par Elvup (Ndrl : anciennement Orne Conseil Elevage) en septembre dernier. Si Claas a été précurseur avec son système « Shredlage» , les autres constructeurs lui ont emboité le pas avec leurs propres technologies et nouveautés. Tout cela va dans le bon sens : plus de technologie pour une meilleure qualité de travail et un meilleur service via des ETA qui relèvent le défi en investissant en nouveautés machines et formation des hommes.
>> D’ailleurs, les nouvelles technologies seront au cœur de vos travaux. Une chance ou une contrainte pour les ETA ?
Une révolution, je crois, avec notamment l’agriculture de précision qui est déjà présente dans notre offre mais que l’on doit vulgariser à plus grande échelle. La révolution numérique ouvre de nouvelles perspectives avec la dernière génération de capteurs et la puissance des systèmes d’information. Nous sommes capables d’effectuer d’innombrables mesures sur les fourrages ou bien encore les effluents d’élevage. Il convient ensuite de digérer cette information et savoir l’interpréter au bénéfice des pratiques culturales.
C’est la question que nous poserons à Alexis Dumaine (spécialiste produits agriculture de précision John Deere), Rémi Laurent (directeur adjoint Innovation & Développement à la CRAN), Marine Nevannen (responsable technique Dekalb) et Olivier Raux (conseiller Elvup) qui participeront à notre table ronde.
>> Ces nouvelles technologies représentent un coût qui ne sera pas sans conséquence sur la facture finale payée par l’agriculteur ?
Ce qui nous inquiète, dans l’immédiat, c’est l’envolée du prix du carburant : + 20 % environ en un an. Un chantier d’ensilage, c’est une bonne trentaine de litres par hectare, la moisson : une bonne vingtaine .
Tout cela se traduit par un surcoût de 4 % rien que pour le poste énergie que nous allons bien être obligé de répercuter auprès de nos clients agriculteurs.
>> Vous attendez un geste des pouvoirs publics sur le sujet ?
Ce que nous attendons aujourd’hui du gouvernement, c’est une mesure rectificative sur la loi de Finances 2018 qui double les seuils autorisant un exploitant agricole à passer des recettes commerciales et non commerciales en bénéfices agricoles. Ils ont été portés de 50 000 € à 100 000 € en valeur absolue et de 30 à 50 % du chiffre d’affaires. S’il s’agit de transformation à la ferme, de vente directe, de tourisme rural, de photovoltaïque ou bien encore de méthanisation, cela ne nous pose aucun problème. Mais il pourrait s’agir aussi d’autre chose. Sous couvert de cette dérogation fiscale, pourraient prospérer des effets d’aubaine pour réaliser des travaux agricoles à façon sans créer une entreprise de travaux agricoles, sans avoir les obligations professionnelles de la prestation de service... En d’autres termes, la loi de Finances 2018 pourrait aboutir à la création d’une concurrence déloyale. EDT, au niveau régional et au niveau national, demande donc l’exclusion des activités de prestations de services de travaux des champs des recettes commerciales pouvant être soumises aux bénéfices agricoles au titre de l’article 75. Nous interpellons d’ailleurs nos députés, Véronique Louwagie et Jérôme Nurry en tête (députés de l’Orne qui ont porté la mesure), sur le sujet car ce dispositif pourrait signifier la fin des ETA en zones de plaine.
>> Mais votre terreau principal, ce sont les zones d’élevage ?
Effectivement, et si l’on prêche la bonne parole depuis longtemps, « éleveurs, déléguez vos travaux de récoltes et de travail du sol », on constate que les mentalités ont évolué. Nos clients raisonnent véritablement aujourd’hui comme des chefs d’entreprise en considérant de plus en plus le volet économique de leur activité mais aussi les conditions de travail qu’ils se fabriquent. Le petit jeu de la défiscalisation en investissant plus que de raisons dans du matériel est de moins en moins fréquent. Nous sommes entrés dans une nouvelle ère avec une vision globale des enjeux.
>> Concrètement, comment cela se traduit-il sur le terrain ?
Moi et mes confrères sommes, de plus en plus, sollicités pour l’établissement de devis de prestations complètes. Il s’agit souvent d’éleveurs qui ont agrandi leur troupeau, d’éleveurs qui se trouvent confrontés à un départ à la retraite d’un associé ou d’un salarié, d’éleveurs qui ne peuvent plus compter sur un coup de main familial... Il y a, à ce moment, un choix stratégique à faire. A nous, entrepreneurs de travaux agricoles, d’apporter une réponse économiquement durable, techniquement pertinente, socialement plus confortable...