Pierre Robillard : " Nous avons vécu la grande époque de la FDSEA "
Désormais retraité, l’agriculteur de Janville porte un œil extérieur sur la profession. Après des années au service de l’agriculture avec un grand A, comme il aime à le dire, Pierre Robillard répond aux questions sur sa vie d’homme engagé.
Désormais retraité, l’agriculteur de Janville porte un œil extérieur sur la profession. Après des années au service de l’agriculture avec un grand A, comme il aime à le dire, Pierre Robillard répond aux questions sur sa vie d’homme engagé.
>> Quel regard portez-vous sur les temps que nous vivons en ce moment ?
2021, une nouvelle année s’engage, avec son lot de contrariétés (pour ne pas dire plus), que nous n’aurions pas cru possible. Depuis mars, force est de constater que notre monde agricole a su garder le cap. Agriculteurs, salariés de la production, fournisseurs, transformateurs : tous étaient présents pour maintenir l’activité agricole, sans faillir. Et aux premiers beaux jours, combien de « citadins » se sont senti une âme d’agent saisonnier, prêts à aider sur le terrain ? Des intentions louables, certes, mais qui renseignaient du décalage entre les idées de ces personnes sur les métiers agricoles et les réels besoins du terrain. Une preuve, s’il en faut, de l’importance de l’agriculture pour notre pays, pour la vie économique locale, pour le bien des Français. Nos grands-parents ont connu la Reconstruction. Nos parents, le choix de l’indépendance alimentaire, en passant des chevaux à la mécanisation. Nous, anciens, avons connu l’arrivée des exigences communautaires et réglementaires, mais aussi assuré l’abondance alimentaire pour tous les consommateurs depuis des décennies.
>> Quels souvenirs gardez-vous de cette période ?
Nous, agriculteurs, avions la motivation pour former un groupe, une force, pour construire des choses ensemble. Nous avions besoin d’entente et d’échanges, d’avancer groupés. Nous faisions partie de la FDSEA du Calvados.
Que ce soit au sein des jeunesses agricoles ou de la FDSEA, nous étions d’abord présents pour rassembler les gens. Nous avions créé une identité agricole forte et réunificatrice. Le monde existait plus loin que la ferme, on rencontrait ses voisins, on échangeait dans un esprit d’émulation, on découvrait d’autres systèmes de production, au-delà des frontières. Pour les paysans, cette ouverture, c’était une progression technique et sociétale. Et puis, notre monde agricole devenait aussi une école de la vie. Combien d’instances locales, organisées par les agriculteurs avaient des vertus nobles ? Parlons des services de remplacement. Parlons des Cuma, que nous avons initiées et mises sur les rails. Elles permettaient et permettent encore de se retrouver pour des taches communes, en profitant d’un matériel innovant. Localement, notre organisme de formation agricole nous donnait les outils pour penser notre exploitation et ne pas la subir. Nombreux sont les exploitants agricoles, en activité aujourd’hui, à être passés par le programme « objectifs décideurs », et en louent encore les vertus. En un mot, c’était l’école du partage volontaire et de l’investissement pour autrui !
>> C’était donc votre « belle époque ». Qu’est-ce qui a commencé à se dégrader au syndicat ?
Plus tard, quand les outils de régulations se sont mis en place, il a fallu s’interroger, expliquer, faire du porte-à-porte pour rallier les gens. Nous n’avions ni honte ni peur de notre démarche, nous voulions que les choix de chacun soient mûrement réfléchis. Pourtant, la vie au sein de la structure n’était pas facile. Chacun peut apporter ses idées, mais il faut ensuite faire un tri et accepter la contradiction. Difficile malgré tout ne pas tomber dans les bagarres futiles, les échanges stériles ou les conflits d’ego, qui n’apportent à long terme que rancœur et immobilisme. Comment passer sous silence les bagarres au sein des structures ? Comment arriver à contenter des gens quand chacun s’estime le plus légitime à obtenir une terre ? Un échec ? C’est forcément que le concurrent est encarté et bénéficie de passe-droits. Au fil du temps, c’est encore l’accumulation de rancœur et de jalousie entre agriculteurs.
>> Le syndicat majoritaire et sa toute-puissance…
Évidemment, les reproches tombent facilement. Concentration des pouvoirs, mêmes personnes, mauvaises décisions. De quoi s’attirer les foudres des personnes qui ne vivent, justement, que de la critique et qui refusent de s’inscrire dans la démarche syndicale constructive. Car, face au travail et à l’accumulation de charges, les vocations et les engagements sont rares. Rendons hommage à ceux qui continuent à mener des actions, en allant à la rencontre du public, des distributeurs, des représentants de l’État. Continuons, écoutons-nous et échangeons nos idées. Ne véhiculons pas un manichéisme malsain entre une bonne et une mauvaise agriculture, qui ne sert finalement qu’à nos détracteurs. Œuvrons ensemble pour l’agriculture et nos métiers.
>> Quel regard portez-vous sur l’avenir du métier et du syndicat à court terme ?
Nos systèmes ont évolué et sont performants mais malgré tout fragiles. La crise sanitaire le prouve : nous avons tenu le cap malgré les contraintes et continué à nourrir la France. Mais que se passera-t-il demain sans approvisionnement de proximité, sans main-d’œuvre formée aux métiers de l’agriculture, avec une multiplication des contraintes techniques ? Interrogeons-nous sur les capacités de reprise. Les structures deviennent de plus en plus lourdes à transmettre financièrement. Soyons fiers de notre modèle d’agriculture familiale mais faisons en sorte qu’il perdure et qu’il ne se fasse pas happer par le gigantisme. Interrogeons-nous sur la dureté du métier.
Aujourd’hui, certaines productions n’attirent plus : je pense à l’élevage. Les contraintes de travail ne sont plus en adéquation avec les désirs - légitimes – d’une vie en dehors du travail. Se dégager un peu de temps pour se consacrer aux instances et aux rencontres syndicales est difficile mais indispensable. Ne perdons pas cela et faisons vivre nos sections locales. Saluons ceux qui continuent à s’engager et à agir dans l’intérêt de tous. Ceux qui pensent d’abord l’agriculture avec un grand A, dans sa globalité, et non leurs cas particuliers.
>> Vous pensez à des personnes en particulier ?
Oui, à des anciens qui furent des modèles. Jean, Albert et tant d’autres qui ont beaucoup donné… En 1976, ils ont vécu hors de chez eux, deux mois, pour organiser l’approvisionnement de paille. J’ai une pensée pour Raymond Lacombe, ancien président de la FNSEA, écouté et respecté, qui avait les mots pour défendre la profession et toutes les agricultures. Ils furent moteurs, ils prenaient de leurs temps pour défendre et organiser. Combien de manifestations et rassemblement sous leur égide furent brillamment menées à Caen, Paris ou Bruxelles ? On appelle cela des rassembleurs, et nos AG FDSEA qui faisaient salle comble dans l’amphithéâtre du Robillard en étaient la brillante illustration. C’est ce genre de souvenirs qui prouvent que ces gens étaient dans le juste. Tellement dans le juste, que jeunes, moins jeunes et aînés, nous devons faire perdurer ces valeurs humaines et sociales portées par le syndicalisme.
En septembre 1991, la FDSEA du Calvados était à Paris pour manifester. « Les Parisiens ont été impressionnés de voir autant de monde, dans le calme », relate Pierre Robillard. D’après les archives de l’Agriculteur normand, 200 000 personnes étaient réunies pour Le Dimanche des terres de France. « Raymond Lacombe était inépuisable sur le sujet. Il était capable d’emmener les foules et était apprécié et écouté de toute l’Europe. C’était inoubliable. »