Space 2020
Relever le défi de la souveraineté alimentaire
Une table-ronde sur la « mise en lumière de la chaîne alimentaire et de tous ses maillons » a réuni, le 16 septembre à Rennes, les acteurs du monde agricole et agroalimentaire ainsi que le ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie. Restaurer la souveraineté alimentaire ne va pas aller de soi.
Une table-ronde sur la « mise en lumière de la chaîne alimentaire et de tous ses maillons » a réuni, le 16 septembre à Rennes, les acteurs du monde agricole et agroalimentaire ainsi que le ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie. Restaurer la souveraineté alimentaire ne va pas aller de soi.
Si chacun des intervenants reconnaît « qu’on a senti le vent du boulet mais que la profession a tenu » pendant le pic d’une crise sanitaire qui n’est pas encore terminée, chacun d’entre eux s’accorde aussi sur les objectifs à atteindre dans les prochaines années. Le premier d’entre eux sera de « relever le défi de la souveraineté alimentaire », a indiqué le ministre de l’Agriculture Julien Denormandie. « C’est la ligne forte que je défends : retrouver notre indépendance ». Le chemin pour y parvenir sera long et semé d’embûches, car tant la France que l’Europe vont devoir se libérer de leurs dépendances, « trop nombreuses », aux yeux du ministre : dépendance aux intrants, aux marchés, à la ressource en eau, aux importations etc.
Savoir-faire
A ce titre, le président de la coopérative agricole Agrial, Arnaud Degoulet estime que « la ferme France dévisse : en 2012 notre balance commerciale était excédentaire de 11 milliards d’euros (Md€). En 2020, nous serons à 6 Md€. En 2023, le solde pourrait être négatif », a-t-il averti. Autrement dit, nous risquons d’importer plus de produits agricoles bruts et/ou transformés alors même que nous disposons des compétences, des outils et du savoir-faire pour les produire en France. « C’est particulièrement vrai pour la volaille, a détaillé le président de la Région Bretagne, Loïg Chesnais-Girard. Nous avions 6 millions de m² de poulailler en 2000. Nous n’en avons plus que la moitié aujourd’hui. Les autres 3 millions sont aujourd’hui en Ukraine […] Quand un élevage ferme, nous augmentons nos importations. Et ce n’est pas en tuant l’élevage qu’on sauvera l’environnement ». « Nous importions une volaille sur 10 dans les années 90. En 2020, nous sommes à un sur deux ! », s’est inquiété Gilles Huttepain, directeur adjoint du pôle amont du groupe LDC. « Oui, il faut préserver nos savoir-faire qui sont en voie de disparition comme les veaux de boucherie, les pigeons, ou encore les chevreaux et il faut aussi plus s’organiser à l’export », a martelé Mickaël Trichet, président de la FRSEA Pays-de-Loire.
« Prêts à relever le défi »
Derrière la balance commerciale agroalimentaire, émerge la notion de distorsions de concurrence. « Il ne faut s’imposer des règles quand nos concurrents ne les respectent pas », a insisté Julien Denormandie qui regrette qu’au sein même de l’Union européenne, « tout le monde ne soit pas logé à la même enseigne ». A ce titre, il estime qu’aller vers l’agroécologie doit « être obligatoire pour tout le monde. Elle ne doit pas être qu’un simple objectif ». Au titre de ses barrières qu’on s’impose et qui sont « supérieures aux autres, s’insurge Gilles Huttepain, il y a le RIP », qui met en danger l’élevage dans son entier (lire encadré). Reconquérir la souveraineté alimentaire en France et hors de nos frontières ne va pas aller de soi. Et même si les agriculteurs sont « prêts à relever le défi » comme l’ont expliqué Arnaud Degoulet (Agrial) et le président du Space Marcel Denieul, il restera également à convaincre des consommateurs qui demandent tout et son contraire : des produits de qualité, de proximité et peu chers. Les agriculteurs sont à la fois les principaux acteurs et les principales victimes de cette « cohabitation des contraintes et de la théorie du mistigri », a résumé Julien Denormandie, pressé par les débatteurs d’agir vite pour retrouver cette part de souveraineté alimentaire aujourd’hui perdue. « Il vous reste moins de 600 jours », lui a lancé Gilles Huttepain (LDC).
Le référendum d’initiative partagée (RIP) sur les animaux, lancé en juillet par le journaliste Hugo Clément, a bien agacé les participants à la table ronde, y compris le ministre de l’Agriculture. Pour lui, ce « RIP est un non-sens, ne serait-ce que parce qu’on ne connait pas la définition de l’élevage intensif […] Ce RIP nous emprisonne et il ne faut pas s’enfermer dedans ». « On ne peut être que pour le bien-être animal », parce que les premiers à prendre soin de leurs animaux sont les éleveurs, car c’est leur outil de travail, a souligné Marcel Denieul qui qualifie ce RIP de « piège parce qu’il enfonce des portes ouvertes. Et faire un référendum sur des portes ouvertes, c’est dangereux ».
Rencontre expresse avec Julien Denormandie
Le ministre s’est montré intéressé par les alertes données sur le renouvellement des générations et les conséquences de l’agi-abashing ambiant. Il entend faire des plans alimentaires territoriaux (PAT) à construire à l’échelle locale un instrument de re-création du lien entre les producteurs et les consommateurs, en affectant à ces PAT 80 millions d’euros du plan de relance. Il a aussi rappelé son ambition de renforcer la souveraineté alimentaire de l’Europe. Une souveraineté qui se décline sous toutes ses formes, notamment à l’égard des protéines végétales, qu’il s’agisse des graines pour l’alimentation animale, mais aussi pour la nutrition humaine et les productions fourragères.
Joël Rébillard