Foncier agricole
Safer et JA de Normandie luttent contre l’accaparement des terres
En attendant une loi foncière, Safer et JA de Normandie s’organisent pour lutter contre le transfert opaque des terres. En 2019, 6 700 ha ont été détournés du circuit des ventes par des sociétés. Explications.
En attendant une loi foncière, Safer et JA de Normandie s’organisent pour lutter contre le transfert opaque des terres. En 2019, 6 700 ha ont été détournés du circuit des ventes par des sociétés. Explications.
20% des ventes
Grâce aux notifications des ventes de foncier agricole et de parts de société représentatives de foncier (souvent en location) qui lui parviennent, la Safer est capable d’évaluer les terres qui sont transmises de façon détournée. 20% des transferts de foncier en Normandie sont réalisés de manière à alimenter des agrandissements de fermes de plus de 240 ha en moyenne. En surface, « cela représente plus que ce que la Safer maîtrise en une année », nous apprend Emmanuel Hyest, président de la Safer de Normandie. La principale conséquence est que « les jeunes n’ont plus accès au foncier », s’indigne Pierre Le Baillif, président de JA Normandie. « On voit souvent quinze à vingt candidats par appel à candidature Safer, complète François-Xavier Hupin, chargé du foncier à JA de Normandie, dans certains secteurs sous tension, il n‘y a plus d’installation ». Les deux structures se sont associées vendredi 19 juin « pour faire une démonstration politique forte », à travers l’entrée du syndicat au capital de la SCEA (société civile d’exploitation agricole) Safer de Normandie.
Dans l’ombre
Parmi les différents types de modes d’accès à la terre agricole, l’achat de parts de société a pris de l’ampleur, à tel point que « 60% des terres de Normandie est exploitée par des sociétés », révèle Stéphane Hamon, directeur de la Safer de Normandie. La loi oblige tout cédant à indiquer les conditions dans lesquelles il vend ses parts. Cela a permis à la Safer de connaître, à la suite d’enquêtes approfondies, le montant et le profil de ces transactions. En 2019, elle estime que 20% des cessions, soit 6 700 ha, « sont notoirement un moyen d’accéder au foncier via un contournement ». Les bénéficiaires sont peu nombreux, 85 sur les cinq départements. Leur profil est singulier, ils possèdent déjà en moyenne 240 ha de terres.
Manœuvre
La Safer a détaillé la manœuvre qui permet à un cédant de transmettre son foncier à ces gros exploitants à travers des sociétés fictives. L’agriculteur qui souhaite céder ses terres crée une société à laquelle sa propre société (Gaec, EARL) loue des terres. Le futur acquéreur entre dans la SCEA et en prend les rênes en devenant le gérant, l’agriculteur quittant définitivement la société. Au bout de trois ans de location, cette SCEA est prioritaire sur la Safer pour l’acquisition des terres. Le tour est joué…. ou presque, car dans certains cas la Safer déjoue la manœuvre….
SCEA Safer pourquoi ?
Les sociétés utilisent « une faille dans le système », estime Emmanuel Hyest. La Safer contre-attaque en créant, il y a un an, la SCEA Safer de Normandie, capable de se positionner dans le processus et d’éviter que l’Etat ne délivre le permis d’exploiter. Actuellement, « si la société est seule à demander le permis d’exploiter, l’Etat est dans l’obligation de le lui accorder, explique Stéphane Hamon, mais si nous sommes également demandeurs, l’Etat peut avoir le choix et peut refuser d’accorder le permis à ces sociétés déjà bien dotées en foncier ».
Faire bouger l’Etat
« La SCEA Safer de Normandie pourrait devenir l’informateur officiel de l’Etat pour repérer les candidats qui ne respectent pas le schéma des structures, espère Stéphane Hamon, et alerter le Préfet sur ces pratiques qui vont à l’encontre des objectifs que l’Etat s’est lui-même fixé ». JA de Normandie acquiert un tiers des parts de la SCEA Safer de Normandie, un montant symbolique (33 parts de 10€). « C’est pour montrer notre soutien à ce dispositif », indique son président. De son côté, le conseil d’administration de la Safer a accepté cette entrée dans le capital, « un geste fort », pour Emmanuel Hyest. Mais la vocation de cette société est de disparaître, « si l’Etat redéfinit les règles et qu’il se donne les moyens de les faire respecter », prévient Emmanuel Hyest. « On ne demande qu’à sortir de cette mascarade que l’Etat laisse faire », appuie Pierre Le Baillif. Inédite en France, cette association pourrait essaimer dans les autres régions de France et créer une pression supplémentaire pour faire bouger les lignes. Et obtenir enfin une loi foncière.
64 ha : pour comparaison, la taille moyenne des SAU des exploitations agricoles normandes. (Agriscopie – juin 2019)