Agriculture de conservation, évolution des systèmes
D’après la FAO, l'agriculture de conservation consiste en la mise en œuvre des trois principes suivants : travail minimal du sol ; associations et rotations culturales, couverture permanente du sol.
Leur application simultanée en un ensemble cohérent de pratiques a pour objectif la rentabilité de la production au travers de l’amélioration du fonctionnement du sol. D’autres bénéfices sont également visés par la mise en place de ces systèmes : économie en temps de travail et carburant ; limitation de transferts vers les eaux de nitrates, phytosanitaires et terre ; séquestration de carbone.Des systèmes s’inspirant de ce type d’agriculture sont pratiqués sur des millions d’hectares dans le monde entier, notamment en réponse à des problématiques d’érosion. En Europe leur développement est plus lent même s’il s’accélère face aux nouveaux enjeux économiques, sociaux et environnementaux.
Des agriculteurs moteurs
En France, les agriculteurs motivés par ces systèmes ne sont pas autant accompagnés que sur d’autres thématiques : on commence à avoir ponctuellement des références sur des points ciblés, mais ce mode de production reste moins étudié que d’autres. Ce qui rend compliqué le travail de recherche et développement c’est l’évaluation des coûts et bénéfices du changement de système et le temps de réponse du sol à ce changement. Ainsi, pour pouvoir progresser en la matière, les directs intéressés se mettent en réseau et partagent leurs expériences. Au niveau national, l’association BASE fédère 800 agriculteurs de plusieurs régions françaises et organise des journées techniques. Localement, les Chambres d’agriculture accompagnent des groupes d’agriculteurs qui veulent faire évoluer leur système et mettent en place des essais pour creuser des questions particulières.Pour répondre à la demande du terrain, la Chambre d’agriculture de la Manche a proposé en 2011 une formation sur les techniques culturales simplifiées et un premier groupe a été constitué, motivé par la préservation de la qualité du sol, l’optimisation de l’organisation du travail et de la consommation de fioul. Au fur et à mesure, le groupe s’est élargi et s’est orienté vers une approche plus large incluant le système fourrager et l’autonomie vis-à-vis de plusieurs facteurs extérieurs : intrants de synthèse, protéines, aides publiques. Le groupe a pu s’appuyer sur sa diversité d’expériences et de recul par rapport aux techniques sans labour, avec des jeunes et des moins jeunes, chacun apportant sa vision du système visé.
Aller voir ailleurs…
L’année 2014 du groupe a été marquée par l’exploration des systèmes sur couverture végétale permanente. Au mois d’avril, Hubert Charpentier est intervenu à Saint-Lô pour partager son expérience d’ancien chercheur au Cirad ainsi que d’agriculteur à Brives (Indre). En effet, depuis 14 ans il pratique le semis direct sur son exploitation et depuis 9 ans il a fait évoluer son système vers la couverture végétale permanente. Cette couverture était assurée d’abord par des cultures intermédiaires et, depuis trois ans, par un couvert permanent de luzerne dans lequel il a cultivé colza, blé dur, blé tendre et, à partir de cette année, pois d’hiver.En tant qu’agronome-chercheur, Hubert Charpentier a testé une large gamme d’espèces et variétés de couverts. De plus, il garde dans toutes ses parcelles une bande conduite selon les critères de l’agriculture raisonnée où le sol est travaillé. A la fin de chaque campagne les résultats technico-économiques le confortent dans son choix : des rendements comparables et un niveau de charges fortement diminué, notamment concernant azote et herbicides. En juin, le groupe s’est déplacé sur son exploitation pour apprécier visuellement ces résultats, poursuivre les échanges et rentrer chez soi avec des nouvelles idées. Entre-deux, Hubert Charpentier avait visité des parcelles d’un éleveur manchois, pour avoir un aperçu des questions spécifiques au contexte local.En effet, les systèmes de polyculture-élevage n’ont pas les mêmes contraintes que ceux de grande culture. Par conséquent, lors du déplacement, le groupe a également visité l’exploitation de Pascal Périn, éleveur laitier en Indre et Loire, en non labour depuis 10 ans. Dans son cas, la couverture du sol est assurée par des prairies, des couverts d’interculture et du colza associé. L’éleveur se pose tout de même des questions sur une couverture plus importante. Celle-ci pourrait être garantie par la conservation de trèfle blanc de prairie ou du couvert associé au colza pour ensuite y semer du méteil ou du blé.
…et ensuite capitaliser
De retour du voyage d’études, les agriculteurs manchois ont eu 3 mois pour faire décanter toutes ces informations et cogiter. Ensuite, une journée de capitalisation a été organisée à la Chambre pour remettre à plat tout ce qui avait été vu et planifier l’activité des mois à venir. Une synthèse vidéo des deux visites a servi de support pour faire une analyse critique qui est allée compléter les impressions collectées à chaud lors du voyage. Les agriculteurs ont été marqués par les performances du système d’Hubert Charpentier car finalement cela correspond à leurs objectifs : réduction de la dépendance des aléas climatiques, du prix des intrants et des produits agricoles, résilience aux changements des aides publiques et notamment leur orientation en matière d’azote et phytosanitaires. En même temps le groupe a partagé le “tâtonnement” de Pascal Périn, en mettant en avant le manque de recul sur maïs sur couverture permanente ainsi que la sécurité fourragère.Voilà pourquoi le groupe de la Manche a décidé de continuer sa démarche pas à pas en jonglant entre objectifs visés et contraintes imposées par le contexte. Lors de cette campagne 2014/15, chaque agriculteur mettra en place des solutions qui visent l’autonomie en sens large, tout en améliorant la qualité du sol : des méteils riches en protéines entre deux maïs, des plantes “compagnes” pour apporter un plus aux cultures, des maïs implantés dans un couvert de luzerne ou d’avoine et féverole…
Une boucle pérenne
Au printemps 2015 le groupe se réunira pour partager avancées et questionnements. D’ici là, agriculteurs et conseillers vont tester une nouvelle modalité d’échange : un outil web collaboratif permettant de collecter et partager des documents relatifs à l’agriculture de conservation, photos de parcelles, etc, en plus d’un forum pour interagir sur des questions précises. L’expérience de cette année sera répétée avec un nouveau voyage d’études dans un contexte plus proche à celui de la Manche, ainsi que par une nouvelle journée de capitalisation.Une démarche de progrès continue impliquant tous les participants et se nourrissant d’expériences internes et externes au groupe, représente un grand atout pour que chacun puisse avancer vers le système qui réponde à ses objectifs. Et au fur et à mesure que la boucle tourne, le réseau de compétences et les références constituées pourront permettre d’accompagner de plus en plus d’agriculteurs.
Avec la participation financière du Conseil général 50 et le CasDar