Fermeture de la sucrerie de Cagny : « on ne lâche rien »
Près de 400 manifestants, planteurs de betteraves en tête mais aussi employés en CDI ou CDD de la sucrerie, prestataires de services (entrepreneurs de travaux agricoles, distributeurs de matériels betteraviers...), sous-traitants et élus (locaux, départementaux, régionaux) se sont retrouvés vendredi dernier, de 10 h à 14 h, sur le tarmac de l’usine Saint Louis Sucre de Cagny (14) pour dire « non » à la fermeture d’un outil compétitif.
ll Ce n’est pas à un enterrement auquel on a assisté vendredi dernier devant la sucrerie de Cagny mais plutôt à une démonstration de mobilisation d’un large échantillon de représentants de la filière sucre bien décidés à se retrousser les manches et à se battre pour sauver son gagne-pain. 500 emplois directs et indirects sont concernés. L’enjeu dépasse largement le champ agricole.
Une offre de reprise de Cagny
« Südzucker parle d’arrêt de production mais pas de fermeture. C’est de l’enfumage total. A terme, c’est rayer ce bassin de production de la carte qu’il souhaite ». Dans sa première prise de parole de la matinée, Patrick Dechaufour (président du syndicat betteravier CSOB) a décrypté les réelles intentions du sucrier allemand. « Ce genre de capitalisme sauvage, je ne l’accepte pas. Ce serait un désastre pour nos exploitations, un désastre pour l’économie locale... Cagny est un outil compétitif. Il faut que Cagny continue à fonctionner». La ficelle est effectivement un peu grosse. La vision stratégique de Südzucker visant à transporter les betteraves bas-normandes vers Etrépagny (27) distant de 180 km de Caen pour se faire écraser n’a pas de sens économique. Sans parler du bilan carbone... « Il n’y a rien à attendre de Saint Louis Sucre. Moi, je veux voir les dirigeants de Südzucker Il faut amener les Allemands à revenir sur leur décision », juge désormais Patrick Dechaufour. Sinon ? « Sinon, il faut faire une offre de reprise de l’usine pour continuer à faire de la betterave dans notre région. Il n’y a pas de fatalité. Mais, pour cela, j’ai besoin d’une mobilisation sans faille, y compris de nos élus locaux, départementaux, régionaux et de nos différents ministres concernés».
Un loup caché
Alexandre Quillet (président du syndicat betteravier CGB 27) est sur la même longueur d’onde que son homologue bas-normand. «Il s’agit d’une bêtise décidée par quatre Allemands. Economiquement, on ne comprend pas cette décision et si cette décision n’est pas économique, c’est que l’entreprise est viable. Vouloir fermer une usine qui a tourné 142 jours cette année et 160 jours l’an dernier, c’est qu’il y a un loup quelque part.» Et Alexandre Quillet, sans nier le marasme mondial sucrier, de faire remarquer que si Cagny ouvre dès le 15 septembre, c’est que SLS a besoin de sucre. Et de conclure : «il faut garder courage et ne pas déprimer, il est trop tôt. Il faut regarder quelles sont les solutions. Imaginer par exemple de l’actionnariat coopératif ou de l’investissement privé ou public (...), ou les deux, pour reprendre l’outil industriel. Cela a déjà été fait. Il faut discuter avec le Conseil régional. Il existe des possibilités avec de l’argent européen...» Et enfin, «il faut aussi garder la betterave au nom de la biodiversité ».
« J’interviens auprès du ministre de l’Agriculture »
« Près de 1 000 agriculteurs sont fournisseurs de ce site industriel. Et plusieurs dizaines sont en pays de Falaise/Cingal. La fermeture de la sucrerie va les contraindre à arrêter cette production, car il n’y a pas d’autres acheteurs de betteraves localement. Il leur faudrait, sinon, payer des frais de transport énormes pour livrer les betteraves ailleurs. La betterave à sucre est l’une des productions agricoles les plus rentables à l’hectare. C’est donc une perte de chiffre d’affaires et de revenu pour l’agriculteur concerné. Ce sont aussi des machines, comme les arracheuses à betteraves qui ne servent qu’à cette production, qu’il va falloir revendre, parfois à perte. La raison invoquée par Saint-Louis Sucre est la baisse du cours mondial du sucre. Cette baisse serait liée à une croissance de la culture de la canne à sucre en Amérique du Sud, mais aussi à une explosion de la production de betteraves à sucre en Europe, depuis la décision de la Commission européenne, il y a deux ans, de supprimer les quotas betteraviers. On assiste à la même problématique que dans la filière laitière : sous le prétexte du libéralisme, la Commission européenne a fait supprimer les quotas, et comme pour le lait, les cours se sont effondrés. J’interviens auprès du ministre de l’Agriculture, Didier Guillaume, pour lui demander d’organiser rapidement une table ronde entre les représentants du groupe Saint-Louis Sucre et l’interprofession agricole, afin de trouver une solution permettant de pérenniser la transformation de la betterave dans le Calvados. »
Sébastien Leclerc
député de la 3e circonscription du Calvados et maire de Livarot-Pays-d’Auge
« Un coup de tonnerre dans un ciel d’été »
« L’annonce de la fermeture de la sucrerie de Cagny est un drame pour les salariés et le territoire. Les employés de l’usine vont devoir retrouver un emploi, les agriculteurs des débouchés. C’est un coup de tonnerre dans un ciel d’été. Cette décision nous interpelle sur l’état des entreprises dans notre pays. Notamment sur le fait qu’elles sont gérées par des capitaux ou des groupes d’intérêts étrangers. La décision à Cagny est prise par un groupe européen, mais d’abord allemand. Elle est prise au profit des intérêts de l’Allemagne et pas de la France. L’arbitrage n’est pas en notre faveur. Il en va de l’agriculture comme d’autres secteurs économiques. Je le regrette. Cela va considérablement perturber l’activité du Calvados et de l’Orne. C’est un drame social et économique. »
Bertrand Bouyx
député de la 5e circonscription du Calvados