Anne-Marie Denis, présidente de la FRSEA Normandie
" Forger un syndicat régional moteur d’une agriculture multiple "
Rencontre avec l’Ornaise Anne-Marie Denis, présidente de la Fdsea 61 et désormais de la Frsea Normandie. Une femme de caractère, humaine et qui revendique être un « agriculteur comme les autres ». Sur sa feuille de route, forger un syndicat régional moteur d’une agriculture multiple sur les cinq départements normands.
Rencontre avec l’Ornaise Anne-Marie Denis, présidente de la Fdsea 61 et désormais de la Frsea Normandie. Une femme de caractère, humaine et qui revendique être un « agriculteur comme les autres ». Sur sa feuille de route, forger un syndicat régional moteur d’une agriculture multiple sur les cinq départements normands.
>> Anne-Marie, vous avez le syndicalisme chevillé au corps ?
Je suis tombée dedans toute gamine. A l’époque, je dormais dans la chambre au-dessus de la salle à manger où mon père tenait des réunions syndicales jusqu’à tard dans la nuit. Cela a marqué mon enfance et j’ai donc suivi syndicalement mes parents, à la Fdsea bien sûr.
>> Vous n’êtes pas passée par la case JA ?
Si, mais j’ai d’abord travaillé à l’extérieur. Je me suis installée à plus de 30 ans et la limite d’âge JA, à l’époque, était à 35 ans. J’ai donc dû cotiser au syndicalisme jeune pendant 2 ou 3 ans. Cependant, la famille y est encore à travers notre fils Aurélien.
>> Et votre engagement à la FDSEA ?
J’ai d’abord pris un temps pour m’installer et rendre l’exploitation viable pour deux. Je ne voulais pas être une agricultrice fantôme, mais disposer d’un temps plein. Nous avons développé certaines productions (Blonde d’Aquitaine en label rouge, JB viande, chambres d’hôtes), développé les céréales, investi dans un robot de traite... J’ai également pris du temps pour élever mes enfants.
>> Vous êtes passée par l’échelon cantonal ?
J’ai été élue présidente cantonale en 2008 pour remplacer Claude Ganier qui souhaitait se lancer en politique. J’ai, à l’époque, été très surprise que les agriculteurs fassent confiance à une femme. C’était peu courant, mais j’ai été très bien accueillie, je me serais découragée dans le cas contraire. J’ai assisté à ma première réunion départementale sous la présidence d’Olivier Borel. Il avait cette ambition de faire entrer une femme dans son équipe.
>> Quel était le climat ambiant ?
Je me suis aperçue que, dans le syndicalisme agricole et contrairement à d’autres organisations, on a les mains libres. On peut défendre sans contrainte les agriculteurs sauf bien sûr à rester dans le respect de la loi. On est aux côtés des gens...
Je suis issue d’une famille où mes parents ont beaucoup aidé les autres. J’ai retrouvé cette valeur humaine au sein de la FDSEA qui défend, parallèlement, tout un collectif.
>> La suite de votre parcours ?
J’ai été membre du bureau de la FDSEA 61 pendant 3 ans puis secrétaire générale pendant un mandat. Enfin élue présidente en 2013 donc membre de droit de la FRSEA Basse-Normandie à l’époque, et élue à la Chambre d’agriculture de l’Orne. En 2014, je suis entrée au conseil d’administration de la FNSEA, et en 2016 élue vice-présidente de la Fisea.
>> Qu’est-ce qui vous a poussé à postuler à la présidence de la FRSEA Normandie ?
La volonté de mettre en œuvre un syndicat régional moteur d’une agriculture multiple sur nos 5 départements. Contribuer à ce que la FRSEA Normandie devienne l’articulation de l’ensemble à condition de préserver les énergies locales, en termes d’élus et d’administratifs, pour garder cette proximité de réseau fondamentale.
Trop d’entreprises ou d’organismes qui ont régionalisé font aujourd’hui la démarche inverse. Ne commettons pas cette erreur, préservons nos fondamentaux. Les FDSEA doivent garder leur ancrage pour préserver leurs forces vives.
>> Une responsabilité supplémentaire, c’est une organisation professionnelle et familiale différente ?
Je suis un peu privilégiée avec un jeune en cours d’installation qui va me soulager sur un certain nombre de travaux de l’exploitation. Il y a parallèlement l’activité touristique que je peux brider si besoin pour gagner du temps. Concernant les animaux ou le suivi des cultures, à contrario, il n’y a pas de temps à gagner, mais je peux compter sur deux hommes solides, Serge mon mari et Aurélien notre fils. Je ne suis pas déconnectée pour autant. Même à distance, ils me demandent avis et conseils sur les décisions à prendre.
Enfin et sur ce point, je n’ai pas l’intention non plus de faire défaut à notre vie familiale parce que c’est ici que je puise toute mon énergie.
>> Vous pourriez cependant en demander un peu plus à vos collègues élus de la FDSEA 61 ?
Avant de postuler à la présidence de la Frsea, j'ai bien expliqué aux élus de l'Orne que je ne ferai que ce que je peux. J'ai donc demandé si certains étaient prêts à assumer quelques délégations. On m'a répondu « oui ». Désormais, il reste à organiser cette mécanique.
>> Pour la première fois une femme à la présidence d’une FRSEA. Christiane Lambert à celle de la FNSEA et depuis peu du Copa. Le syndicalisme agricole a un train d’avance ?
(Rire). On n'arrête pas de dire que les paysans sont machistes. Ça peut arriver comme dans tous les métiers, mais je suis persuadée que parfois, nous les femmes, n'osons pas prendre la place. Si des hommes ne m'avaient pas poussée, je ne me serais pas présentée à ce poste de présidence de la FRSEA. On se regarde parfois trop dans ce statut jusqu'à y perdre du temps.
Je respecte les commissions « agricultrices », mais ce n’est pas une obligation. J'aime dire « qu'une femme est un agriculteur comme les autres », mais qui doit endurer plus de sacrifices notamment à des moments clés de la vie familiale.
En résumé, on n’a pas élu une femme à la tête du syndicalisme agricole régional, mais le porteur d’un projet qui correspondait aux attentes, un collègue acceptant de représenter la diversité des productions de la Ferme Normandie...
>> Quels sont vos principaux traits de caractère ?
Têtue comme une mule (rire). Têtue, mais humaine... Enfin, c'est ce que je crois, je me trompe peut-être ?
>> Vous présidez le syndicalisme aîné. Il y a aussi le syndicalisme jeune. Avez-vous un message prioritaire à faire passer ?
On a souvent tendance à croire que la problématique de l'installation constitue le pré carré des JA. Moi, je dis « pas que ». L'écart-type de la taille des exploitations est en train de se creuser à tel point que va se poser la question de la « transmissibilité » de certains outils. Nous devons donc, à chaque étape de notre vie professionnelle, à chaque nouvel investissement sur nos exploitations intégrer cette notion de « transmissibilité ». Voilà un dossier pour lequel, en tant que présidente de la FRSEA, j'aimerais partager avec JA.
>> Vous avez traversé des problèmes de santé sérieux. Avec cette nouvelle responsabilité, ne craignez-vous pas de vous faire gronder par votre médecin ?
J’y ai pensé et je lui en ai parlé il y a 3 semaines. Au quotidien, je prends du temps pour ma famille, ma santé, la vie... Ces temps-là, pas question d’y passer outre. S’il me faut une journée ou plus d’hospitalisation pour un soin ou un examen, je m’y soumets...
Après 6 ans de recul, je connais mes limites. Elles me ramènent très vite à la réalité. Je sais gérer ma santé. Alors certes, je ne suis plus en capacité de lever la patte d’une vache et ça me fait « chier », mais j’ai appris à m’organiser autrement. J’ai aussi appris à dire « non ». Tout cela, c’est une leçon de vie.