Isigny, un bon exemple à suivre pour la Normandie laitière
Au début d'une nouvelle campagne laitière, le point
avec Ludovic Blin président de la section lait
de la FRSEA de Normandie.

>> Quelle est l'ambiance dans les exploitations laitières ?
L'ambiance est morose car nous ne sommes pas remis de la crise de 2015-2016. Et puis les travaux des champs n'avancent pas à cause de la météo : les semis de maïs prennent beaucoup de retard et c'est préjudiciable. Cela va raccourcir la période de semis, et il n'est pas dit que toutes les conditions soient réunies pour réussir la culture, capitale pour nos élevages. Cela pourrait avoir des conséquences à l'automne et à l'hiver prochains. Enfin, la mise au pâturage est aussi rendue difficile, les stocks s'amenuisent et on constate des tensions sur l'approvisionnement et le prix de la paille, par exemple.
>> Et au niveau économique ?
Je le disais : la crise de 2015-2016 a été profonde et l'année 2017 n'a pas permis d'effacer les dettes contractées pour passer le cap. Nous ne sommes donc pas encore remis. Et ce ne sont pas les annonces de prix que nous lisons ici et là qui nous rendent optimistes. La plupart des annonces tournent autour de 300EUR/1000 litres. C'est très insuffisant.
>> Les hausses obtenues lors des négociations commerciales ne sont pas répercutées ?
On nous dit aussi que ces hausses sont faibles et qu'elles ne compensent pas la déprime des marchés internationaux, notamment sur la poudre de lait. Mais les relations commerciales ne font pas tout. On voit aussi des entreprises qui se prennent en main et obtiennent des résultats, y compris à l'export.
>> Vous voulez parler de la coopérative d'Isigny ?
Oui. C'est un très bon exemple que nous devons saluer. Alors que beaucoup d'entreprises se montrent frileuses avec des prix tirés vers le bas et des volumes contraints, voilà une entreprise qui a su prendre des initiatives. Aujourd'hui, malgré le contexte, le prix payé par la coopérative dépasse de 40 à 50 EUR les prix pratiqués dans son environnement, grâce à une ristourne de 30 EUR ! Cela démontre que tout ne dépend pas de l'attitude de la distribution. J'ajoute que les perspectives de volumes sont aussi positives pour les producteurs. Quand certains pratiquent la double peine : pas de prix, pas de volume, Isigny pratique la double récompense : et du prix et des volumes. Bravo.
>> C'est un exemple à suivre ?
Bien sûr. Mais il faut être lucide : c'est un travail de longue haleine qui amène ces résultats, mais c'est un travail qui paie aujourd'hui. Nous aurions espéré que des groupes laitiers plus importants témoignent d'une même dynamique qui renforce toute la filière, mais ce n'est pas le cas et les producteurs qui livrent à ces
entreprises vont encore devoir attendre.
>> La loi issue des États Généraux de l'Alimentation peut-elle faire avancer les choses ?
Oui, mais elle ne réglera pas tout. Et elle ne s'appliquera que quand elle aura été votée, c'est-à-dire pour les prochaines négociations commerciales. En attendant, les producteurs doivent payer leurs factures avec ce que les entreprises laitières veulent bien leur payer le lait. J'espère que la loi aura le niveau attendu et produira des résultats. Mais elle ne remplacera pas la dynamique des entreprises, leurs investissements et leur foi en l'avenir laitier de notre région. Et cet avenir passe aussi par l'exportation. On ne peut pas se contenter de produire pour le marché intérieur alors qu'une demande existe à l'export. Il faut savoir saisir cette chance et démontrer notre ambition pour la production laitière normande.
>> On vous sent un peu frustré...
Oui parce que les producteurs ont besoin de trésorerie. Et ils ont besoin de confiance. Cette confiance passe par des prix qui donnent envie et des projets partagés qui donnent des perspectives. Nous sommes le 10 avril et certains ne connaissent pas le prix auquel ils vont être payés du lait qu'ils livrent depuis le 1er avril. Tout se passe comme si les entreprises jouaient à cache-cache pour faire des annonces de prix les plus proches les unes des autres. Et c'est au détriment des producteurs. Heureusement que des entreprises comme Isigny apportent de bonnes nouvelles à leurs adhérents. Cela met du baume au coeur. Et cela contraste d'autant plus avec le repli sur soi que donnent à voir certaines entreprises laitières.