Canada
Le modèle laitier fait rêver, la réalité le complique
Thomas Pelletier et Philippe Marie, producteurs de lait à Vaux-sur-Aure (14) ont reçu vendredi une délégation d’élus du Canada. Au cœur des débats :
leur modèle laitier. Un modèle qui fait rêver bon nombre de producteurs français. Il nécessite néanmoins prudence et discernement.

avec pour conséquence probable de réduire le nombre de ferme.
"Si vous étiez un responsable politique français, appliqueriez-vous le modèle laitier Canadien ?” Cette question un peu provocatrice est adressée à André Scheer, vice-président de la Chambre des communes, accompagné de députés canadiens. En digne politique, la réponse se veut prudente. “Son application en France impliquerait sans doute quelques sacrifices. Les contextes Français et Canadiens sont difficilement comparables. Chez nous le prix du lait est effectivement fixé par le conseil des marchés. Il assure un prix de revient minimum au producteur laitier. Nos agriculteurs en sont satisfaits”.
« Etes-vous prêt à baisser votre production de 30 % ? »
Le Canadien insiste ensuite sur les différences franco-canadiennes : “nous n’exportons pas de lait. Les prix sont donc totalement déconnectés du marché mondial. Vu l’immensité de notre pays, les coûts de transport et de collecte du lait sont énormes. Nous ne serions pas compétitif. En revanche, la France exporte 30 % de sa production. Votre pays veut-il moins de producteurs et moins de fermes ? La question doit être posée. Pour appliquer le modèle canadien, il faudrait sans doute commencer par baisser les quotas de 30 %”. Le chiffre est lâché : moins 30 %.
Tentation protectionniste
La délégation canadienne se retrouve presque malgré elle au cœur de l’actualité agricole et laitière français. À l’initiative des ministères des affaires étrangères, ces élus d’outre-atlantique sont venus découvrir l’agriculture européenne. Si les producteurs locaux lorgnent chez les cousins canadiens, le modèle agricole européen suscite également la curiosité des responsables politiques du Canada. En dehors du lait, ce pays exporte 90 % de sa production agricole. C’est un important vendeur de céréales. “Une majorité des industriels souhaite d’ailleurs la libéralisation des marchés”, concède la délégation. Le marché libéral avec exportation y côtoie le “protectionnisme” laitier. Exporter sans autoriser l’importation, ce paradoxe titille l’Organisation Mondiale du Commerce. Reste à savoir si ce système perdurera. “Le protectionnisme sera-t-il toujours possible avec les règles de l’OMC ?”, s’interroge-t-on du côté français. Les responsables canadiens semblent également en douter.
Le prix du lait canadien fait envie
Thomas Pelletier et Philippe Marie produisent 500 000 litres de lait. Le second a participé à la réunion de l’Association des Producteurs Laitiers Indépendants, à Vire. Véritable espoir ou utopie, le débat est ouvert. “Le prix du lait canadien me fait beaucoup envie. Il ne descend jamais en dessous des coûts de production. En temps de crise, ce système s’avère plus stable. Il y a sûrement des idées à reprendre. Mais, il n’existe pas de réponse parfaite”, souligne l’éleveur. À commencer par la valeur des quotas laitiers : son tarif varie entre 16 et 18 000 € par vache (lire encadré).
L’idée de calquer le modèle canadien dépasse également le strict cadre agricole. Freiner la production laitière de 30 % rime avec un ralentissement de la transformation par les industriels. Le secteur agroalimentaire est actuellement le premier employeur de Normandie. Et dans un contexte où l’agriculture limite le déficit de la balance commerciale de l’hexagone : les responsables politiques français pourraient-ils transposer le modèle tant loué ? Du rêve à la réalité, la marche est encore longue.
Des conditions d’installation difficile
“Chaque province dispose d’un quota. Si un fermier veut produire davantage, il doit s’acquitter de droits supplémentaires”, explique André Scheer. Un investissement qui reviendrait entre 16 et 18 000 € par vache. Et la délégation canadienne de poursuivre : “les conditions d’installation sont rendues très difficiles. La question du renouvellement des agriculteurs se pose. Il apparaît presque impossible de devenir agriculteur lorsque l’on n’est pas du milieu. Les investissements sont extrêmement élevés. Les fermes sont rachetées par de grands domaines. La production laitière reste familiale”.