Bernard Houssin, directeur de la Ferme expérimentale de la Blanche Maison à Pont-Hébert (50
Le Monsieur Loyal(1) de La Blanche Maison raccroche les crampons
Bernard Houssin, directeur de la Ferme expérimentale de la Blanche Maison à Pont-Hébert (50), fait valoir officiellement ce soir ses droits à la retraite. Il a été, entre autres, l'arbitre officieux du match herbe/maïs.

Herbe ou maïs, quel est le meilleur système ?” A cette question, Bernard Houssin, 40 ans après sa sortie de
l'Ecole Supérieure d'Agriculture
d'Angers (49), répond dans la nuance. “Il n'y a pas de système tout blanc ou tout noir. Tout est gris. L'objectif étant d'arriver à un gris clair”. Un peu langue de bois quand même pour un scientifique, fils d'agriculteurs né à Tirepied dans la ferme familiale le 24 mars 1950. Seconde tentative. “Le maïs est aussi politiquement correct que l'herbe. C'est une plante experte”. Pan sur le bec de ceux qui ont voulu lui coller une image partisane de défenseur de la prairie. “On m'a aussi collé une image de défenseur de la race Normande”, s'amuse-t-il. C'est mal connaître sa rigueur intellectuelle. “Je n'ai jamais rien inventé. Je me suis toujours basé sur des références et c'était mon boulot que de les transmettre”. Un trait de caractère confirmé pas ses collègues de la Chambre d'Agriculture de la Manche. “Pourquoi se contenter des résultats d'un essai quand on en dispose de 3 même s’ils disent pareil ? Bernard présentait les 3”, résume l'un d'eux. Il n'a effectivement jamais fait dans la demi- mesure. C'est un généreux au point d'en donner le tournis à ses assistantes. “Pour lui, un diaporama devait être consistant : 60 diapos à l'heure. C'était une moyenne correcte. Imaginez le boulot surtout aux temps antiques des transparents qu'il fallait réaliser manuellement”, se souvient-on, rictus aux lèvres, dans les couloirs de la chambre consulaire.
De 20 Normandes à 40 Frisonnes
Bernard Houssin a démarré sa carrière professionnelle à la Chambre d'Agriculture de la Manche pour ne plus la quitter le 1er août 1974. Il n'aura connu que 3 présidents : Roger Lecamus qui l'a embauché, Rémy Bailhache puis Pascal Férey. Ses débuts coïncident avec la montée en puissance des plans de développement . “Un éleveur à l'époque, c'était 20 Normandes, du maïs et une stabulation. L'objectif était de le faire passer à 40 Frisonnes. C'était facile et ça marchait”. Facile aussi du côté du monde salarial grâce à l'inflation. “Quelques mois après mon entrée, je me suis aperçu que j'avais été augmenté de 7 % sans rien demander. Une compensation à l’envolée des prix”. Les contraintes environnementales ne s'étaient pas encore invitées dans les débats. “Maïs, RGI (Ray-Grass d'Italie), 3 UGB (Unité Gros Bovin) de chargement. Les unités d'azote, ça volait. Fil avant, fil arrière...” Le million de litres de lait, on y rêvait mais on n’osait pas encore y croire.
En 1980, Bernard est muté au SUAD à St-Lô, technicien d'études spécialisé en production laitière. Puis affecté en 1984 au Service d'Utilité Agricole “Référence Diffusion” sous l'autorité de Patrice Prével. Le ton a évolué. “Produire plus” tout en “produisant mieux” inscrit sur sa feuille de route. L'époque des réunions CTPL (Conseil Technique en Production Laitière) et ATPL (Appui Technique en Production Laitière). La Ferme expérimentale de La Blanche Maison sert de fil rouge. Un outil dont l'ITCF (Institut Technique des Céréales et Fourrages) se désengage en 1992. Alors Bernard s'engage. Il en prend même les rênes le 1er septembre 1998. Son premier champ d'expérimentation : établir le lien entre l'alimentation des vaches laitières et la qualité des produits laitiers. Le coup d'envoi du match herbe/maïs est donné. Il teste l'ensilage d'herbe. “On arrive à faire du lait aussi bien qu'avec le maïs, sous condition cependant”. Mais le risque listéria jette un froid .
Alors Bernard teste le foin séché au sol. “Pas adapté à la Normandie. On nous a dit de tester le foin séché en grange. Zootechniquement, ça marche très bien. Le problème, c'est que le foin, c'est très hétérogène en fonction de la part plus ou moins importante de légumineuses. Le maïs, à contrario, c'est carré”. Et économiquement ? “Ça fonctionne mais il faut payer le séchoir”. Point de salut sans subvention. Et écologiquement ? “Ce n'est pas tout blanc. Un ventilateur, ça consomme de l'énergie, ça fait marcher Flamanville”.
“Je n'ai rien appris à l'école”
S'il raccroche les crampons, Bernard Houssin n'est pas décidé pour autant à abandonner les bottes. Il imagine de petites visites, le dimanche et presque en catimini, aux vertes prairies de La Blanche Maison. De sa formation, il est tranchant. “Je n'ai rien appris à l'école. J'avais les fondamentaux pour m'adapter. Ce que j'ai acquis à Angers, c'est l'esprit d'ouverture”. Son parcours professionnel : “je suis devenu plus agronome que zootechnicien”. Son avenir : “faire mieux ce que je fais mal maintenant”. Bernard est adjoint au maire de St-Jean-des-Baisants. Il anime parallèlement avec sa femme une troupe de théâtre. Et s'il ne regrette rien de ses 40 années passées au service de l'agriculture manchoise, il va tourner la page. “J'aurai, le 2 novembre, cette aptitude à oublier les préoccupations que j'ai encore aujourd'hui”. Ce soir, c'est son pot de départ. A n'en pas douter, le président de La Blanche Maison (Régis Chevallier) et ses collègues lui diront “merci Bernard”(2). En attendant, au nom de la rédaction et de tous les collaborateurs
de Réussir l'Agriculteur Normand, bonne retraite.
(1) : dans le monde du cirque, Monsieur Loyal est le maître de la piste, le chef d'orchestre des numéros, particulièrement des entrées des clowns.
(2) : Emission télévisée d'humour déjanté et décalé diffusée sur FR3 de 1982 à 1984.
On dit de lui...
“Il parle comme il pense. Donc si s’est dit, c’est qu’il pense.
Attention, il faut se méfier du Bernard qui ne dit rien.
Une porte se ferme, ce n’est pas grave. Il passe par la fenêtre.
Novateur, il a porté des thématiques souvent en avance.
Disponible, on peut affirmer que la Ferme est passée
devant tout, notamment par rapport à sa vie privée.
Rigoureux et orgueilleux, il n’a eu de cesse de faire en sorte que les résultats soient au rendez-vous.
Il est généreux. Il aime beaucoup partager son stress”.