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Solidarité Paysanne
À Livarot-Pays-d’Auge, Lucile, Osman et 47 chèvres

Osman Omer est salarié à la ferme d’Esmeralda, dans le Pays d’Auge, depuis le mois de janvier 2022. Le contrat entre le jeune homme, réfugié d’Erythrée, et Lucile Bernouis est signé dans le cadre de Migr’action. Rencontre.

Lucile et Osman travaillent ensemble depuis le 10 janvier. Ils ont appris à gérer la barrière de la langue. « Quand on emploie une personne réfugiée, il faut être prêt à lui consacrer du temps pour l’aider à comprendre ce qu’on lui demande dans une ferme qu’elle ne connaît pas. Ça peut être complexe, mais c’est très enrichissant », promet Lucile.
© JP

Un contrat de travail, un CDD de deux mois. Voilà ce qui unit Lucile Bernouis, 46 ans, éleveuse de chèvres dans le Pays d’Auge et Osman Omer, 25 ans, réfugié érythréen.

Lucile, éleveuse de chèvres

Lucile et son mari Nicolas sont arrivés à Livarot-Pays-d’Auge en 2010. Elle était agent de voyage et lui instit’. Elle s’installe d’abord toute seule, en chèvres et vaches allaitantes. Quand Nicolas la rejoint en 2015,  ils relèvent le seuil de « sept à quinze vaches Nantaises » et arrivent à 47 chèvres poitevines. Le couple cultive aussi des céréales, dont 2 ha de blé. Le tout en AB. Le lait de chèvre est transformé à la ferme en fromage, vendu sur les marchés et en circuit court. Nicolas cuit du pain, commercialisé via le même chemin. « Je trais à la main », informe Lucile. En décembre 2021, elle se casse un doigt. L’éleveuse cherche alors quelqu’un à embaucher, pour l’aider. « J’avais participé à une réunion organisée par Batik pour faire se rencontrer paysans et réfugiés. Le sujet me touche. » En janvier, l’ONG la rappelle : Osman Omer est prêt à venir.

Osman, réfugié érythréen

Osman Omer est Érythréen. « Je suis allé à l’école pendant neuf ans. Je voulais continuer les études, mais mon pays est une dictature. Je devais entrer dans l’armée. J’ai obtenu des recours. Un jour, je prenais le café chez ma sœur. Ma nièce m’a prévnu que l’armée venait me chercher. Je suis parti. C’était le 10 avril 2017 », rapporte-t-il, dans un français un peu saccadé - mais en progression - et aidé par Lucile. Il ajoute : « tous les gens de mon âge, là-bas, sont devenus soldats ». Osman passe par l’Éthiopie, le Soudan et la Libye. « J’y suis resté trois ans. », dit-il en mimant trois de la main et tout sourire. « Il faut le savoir, Osman a de l’humour », prévient Lucile. Il embarque un jour de 2020 pour l’Italie, où il arrive pendant la pandémie. Il reste 27 jours en Sicile. « À la fin de la période d’isolement, je suis parti vers la France. Vers Caen. » Où il fait sa demande d’asile, en novembre 2020. Là, commencent l’attente, les aller-retour entre les préfectures de Rouen et Caen. On lui parle de l’éventualité de retourner en Italie, « où ses empreintes ont été prises », traduit Lucile. Osman reprend : « j’ai toujours dit OK, pas de problème ». Le jeune homme obtient le statut de réfugié huit mois plus tard. Et avec lui, le droit de travailler.

Un contrat de travail de deux mois

Quand Lucile écope d’un mois et demi d’arrêt, les chèvres sont taries, mais « j’avais besoin d’aide ». Osman débarque le 10 janvier, d’abord pour un court séjour : « je demandais du travail. » Et d’ajouter : « tranquille, pas de problème ». Il s’occupe donc des soins aux vaches et aux chèvres, du four à bois avec Nicolas, de l’entretien des parcours pour les chèvres. En semaine, Osman reste à la ferme. Le week-end, il prend le train pour aller à Lisieux. Le contrat est établi pour trente-cinq heures, payées au Smic. « La barrière de la langue dans le travail peut être complexe », relève Lucile. Si elle juge cette expérience « très enrichissante », elle prévient que « ce n’est pas non plus facile. On partage la maison, le travail. Dans les fermes, parfois il n’y a qu’une seule pièce qui a le wifi... Mais Osman est vraiment cool, il a un super tempérament. » Osman de ponctuer : « OK, pas de problème ». Le 10 mars, il termine son contrat de travail et repart au centre d’hébergement de Condé-sur-Noireau. Il doit y suivre les cours de français obligatoires et retrouver sa troupe :  « je joue dans un théâtre, je veux faire de la comédie. »


Questions à
Inès Guedj-Kedadi, chargée de projet Migr’action chez Batik international.

" Migr’action favorise l’insertion socioprofessionnelle des réfugiés par l’agriculture française "

Batik international est une ONG née en 1998. Elle favorise les liens entre les cultures.
Sur quoi repose Migr’action ?
Migr’action repose sur deux constats : la désertification des zones rurales, avec un besoin de main-d’œuvre et l’accueil des réfugiés en zones rurales pour décongestionner les villes. Pour y arriver, nous renforçons les liens entre le monde agricole et les organisations qui accompagnent les réfugié.e.s. Le programme que nous portons favorise l’insertion par l’agriculture en zones rurales françaises.
Pourquoi viser l’agricole ?
C’est un milieu qui a besoin de main-d’œuvre. Qui est confronté au vieillissement de sa population agricole, à l’exode rural des jeunes et des savoir-faire. En parallèle, les réfugiés se retrouvent à vivre dans les zones rurales sans même les connaître. Pourtant, ils ont souvent des compétences agricoles dans leur pays d’origine. Et ils ont besoin de travailler. Ce programme est l’opportunité de faire découvrir les territoires ruraux et de montrer le potentiel des métiers agricoles.
Comment avez-vous choisi le Calvados et la Manche ?
Un diagnostic territorial a été réalisé pour déterminer l’endroit le plus favorable. Plusieurs territoires ont été retenus : la Bourgogne, la Loire-Atlantique, la Franche-Comté, la Normandie. Nous avons pris quatre mois pour affiner le diagnostic en fonction du marché du travail agricole, de la promotion de l’agriculture biologique et de l’agroécologie qui nous semblent être des valeurs importantes, de l’orientation politique des territoires, de leur enclin à l’accompagnement des réfugiés. Finalement, nous nous sommes centrés sur le Calvados et la Manche. Nous avons contacté la Confédération paysanne, l’Ardear et les Civam qui nous ont donné des contacts d’agriculteurs.  
Quelles ont été les premières prises de contact avec le milieu agricole ?
Nous avons profité des cafés de l’installation, organisés en octobre par les Civam, pour faire se rencontrer agriculteurs et réfugiés. Nous proposons aux réfugiés des courts séjours découverte (entre deux et sept jours) chez des agriculteurs, chez lesquels ils sont logés et nourris. En échange, ils découvrent les travaux de la ferme. C’est une façon de tester une immersion en zone rurale, de toucher du doigt les métiers de l’agriculture.
Et côté réfugiés ?
Nous sommes en contact avec les centres provisoires d’hébergement (CPH) de Lisieux, Honfleur et Saint-Lô. Nous ne travaillons qu’avec des personnes dont le statut de réfugié est reconnu par l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides), c’est-à-dire des personnes qui ont un titre de séjour et un permis de travailler. Ce sont des personnes en situation régulière qui ont les mêmes droits que les citoyens
français. Nous organisons des ateliers de sensibilisation pour leur faire découvrir la campagne française, envisager un déménagement en zone rurale, appréhender les déplacements et rencontrer les réseaux de solidarité.
Depuis le lancement du projet, quels sont les résultats ?
Six personnes ont fait un séjour en immersion et plus de 80 réfugiés ont participé aux ateliers de présentation des zones rurales. Il existe des dynamiques de solidarité dans les territoires. Batik a permis de les rassembler et de les raviver. En janvier, un jeune réfugié érythréen a trouvé un emploi, en tant qu’ouvrier agricole dans une ferme en élevage de chèvres à Livarot (lire ci-contre). On a cependant noté des freins à l’insertion : l’apprentissage de la langue, le logement et la mobilité.
Et maintenant où en êtes-vous ?
Les séjours d’immersion et ateliers se poursuivent. Dans le même temps, on élargit notre réseau en contactant d’autres acteurs. Récemment, nous avons échangé avec l’Anefa et le Greta. Ces organismes nous permettront de trouver des formations adaptées dans le secteur agricole pour les réfugiés, afin qu’ils s’installent durablement dans les zones rurales.
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