Bruno Parmentier, Economiste et directeur de l’ESA (Ecole Supérieure d’Agriculture) d’Angers
Plaidoyer pour une agriculture à haute intensité environnementale
“Le cactus pousse dans le désert. Si j’arrive à lui prendre son gène et à le mettre sur un sorgho, je suis prix Nobel”. Bruno Parmentier, économiste et directeur de l’ESA d’Angers, a défini à l’occasion de l’assemblée générale de la SAFER les grands défis que l’agriculture du XXIe siècle aura à relever. Un discours un brin provocateur, teinté d’humeur et d’humour, profondément humaniste et optimiste in fine. Morceaux choisis.

Agriculteur. Le métier d’agriculteur était simple avant. On semait du blé et on savait qu’on allait le vendre à la récolte un peu moins cher que l’année d’avant. Mais aujourd’hui, les cours du blé ont refait 26 ans de retard.
Australie. Cela fait 8 ans que nous sommes déficitaires en céréales mais nous n’avons rien vu venir car nous avions des stocks mondiaux. Aujourd’hui, nous n’en sommes qu’à 1,5 mois. Parallèlement, il ne pleut plus en Australie. L’Australie n’approvisonnera donc plus durablement le marché agricole mondial.
Biotechnologie. Le XXI e siècle sera celui des biotechnologies. Une révolution doublement verte avec les OGM et l’AB (Agriculture Biologique). Il faut respecter l’AB que le citoyen plébiscite mais que le consommateur boude. On a besoin de toutes les agricultures.
Blé. On a semé 40 millions d’hectares de blé en plus cette année. Du blé à la place du colza ou du soja, ce qui signifie que les protéines végétales vont coûter plus cher. Il y a aussi des producteurs de lait, fatigués, qui vont se mettre à cultiver des céréales. Le prix du lait va donc augmenter aussi.
Doubler. Il faudra doubler la production agricole mondiale pour couvrir, à l’horizon 2050, les besoins alimentaires de la planète. Produire plus pour nourrir l’Afrique, l’Asie, l’Amérique latine, l’Océanie et l’Amérique du Nord. Produire mieux pour nourrir l’Europe.
Faim. Chez nous, on ne meurt pas de faim mais ailleurs si comme en Haïti où ils consomment des galettes de terre. Ce qui va engendrer des révolutions, des guerres civiles, voire des guerres tout court.
Habitants. Tous les jours, la planète compte 200 000 habitants de plus qu’il faudra nourrir, l’équivalent d’une agglomération comme Caen. Par ailleurs, de nouveaux petits riches comme l’ouvrier chinois font leur apparition. Même s’il dispose d’un salaire dix fois moins élevé que le nôtre, il peut se payer une aile de poulet avec son riz, ça change tout.
Labour. C’est la fin du labour, ça coûte trop cher. Un champ de terre nue est une insulte à la société. Il faut passer un accord avec les vers de terre et les insectes. Il faut privilégier le semis direct.
Normandie. La Normandie est au bout du bout du monde, il n’y a guère que la Bretagne au-delà, alors que nous étions pendant des siècles au centre du monde.
Nourrir. En 1945, 8 millions d’agriculteurs n’arrivaient même pas à nourrir 45 millions de Français (chaque agriculteur nourrissait à peine 5 personnes). En 2007, 0,6 million d’agriculteurs nourrissent bien plus que les 65 millions de Français (chacun nourrit 30 à 100 personnes).
OGM. Il faut réserver les champs, qui sont rares, aux céréales et réserver les céréales, qui sont le meilleur du meilleur de la nature, à notre seule alimentation. Brûler du grain, quel gâchis. Il faut inventer rapidement des plantes qui poussent ailleurs que dans nos champs et produisent de l’énergie sans en consommer plus. Vive les OGM !
OGM (bis). Il ne faut pas laisser les OGM aux seuls américains ou chinois. Il faut créer des plantes qui poussent avec moins d’eau ou avec de l’eau salée, qui poussent en terres froides.
Pluie. Si le crachat breton, c’est terminé et qu’il ne pleut plus que 20 fois par an en 2050, il n’y aura plus de céréales dans nos régions sans irrigation.
Réchauffement. Le printemps avance de 2,3 jours par décennie. La date des vendanges a progressé de 19 jours en 60 ans. Le maïs remonte de 50 km par an. L’automne 2006 a été le plus chaud depuis 5 siècles (+ 2,9o). L’hiver 2007 a été le plus chaud depuis 1950 (+ 2,1o). Il va faire de plus en plus chaud et on va avoir les ennuis qui vont avec. Le réchauffement climatique pourrait déplacer 150 millions de personnes.
Smic. En considérant le Smic français, il fallait travailler 4 h 24 mn en 1960 pour se payer 1 kg de poulet. En 2001, il ne fallait plus que 13 mn. On consacrait 23 % de notre revenu en 1960 pour se nourrir. En 2003, nous en étions à 11 %.