Viande bovine : " Le pire, c’est le mépris de nos interlocuteurs "
Les représentants des éleveurs ne trouvent plus leur place au comité régional d’Interbev. Ils le font savoir et remettent en cause leur participation. Interview de Daniel Courval, président de la section viande bovine de la FRSEA de Normandie.
Les représentants des éleveurs ne trouvent plus leur place au comité régional d’Interbev. Ils le font savoir et remettent en cause leur participation. Interview de Daniel Courval, président de la section viande bovine de la FRSEA de Normandie.
>> Quelle est l’ambiance dans la filière bovine en ce début d’année ?
Elle est morose, très morose. L’année avait tout pour être bonne sur un plan économique pour notre filière et il n’en a rien été. C’est même le contraire. Pourtant, avec la fermeture des restaurants d’entreprise et des cantines scolaires au profit de repas pris à domicile, la consommation de viande a augmenté et on pouvait s’attendre à ce que cela soit favorable sur les prix aux producteurs. Mais les lois du marché ne s’appliquent que dans un sens dans cette filière et les producteurs n’ont vu aucune amélioration, si ce n’est sur les vaches en races mixtes et laitières pour qui l’année était très mal partie et qui ont pu redresser la barre à la faveur du confinement, et sur certaines vaches allaitantes. Mais les jeunes bovins ont vu leurs prix baisser même si 45% d’entre eux sont consommés en France et ont pris la place des vaches.
>> On dit pourtant que le marché du steak haché s’est très bien porté, non ?
Oui, mais à quel prix ? Effectivement, la consommation de steak haché est toujours en hausse. Encore faut-il que les industriels et abatteurs le valorisent afin que la valeur remonte aux producteurs, ce n’est pas le cas. On trouve pourtant parfois des produits sous marque du champion de la filière à plus de 15€/kg en grande surface, mais la valeur est confisquée et les éleveurs n’en voient rien.
>> N’y a -t-il pas un travail à faire avec l’interprofession sur le sujet ?
Ouh là ! Parler de valorisation peut-être, mais de prix sûrement pas : c’est interdit par l’Autorité de la Concurrence et mon petit doigt me dit que cela arrange bien nos interlocuteurs. Les producteurs alertent bien sur la situation économique de notre secteur, de la baisse des cheptels laitiers et allaitants mais on ne nous entend pas. Pire : on conteste nos dires. Certains n’hésitent pas à affirmer que nous n’avons pas à nous plaindre et que les éleveurs qui les fournissent, eux, gagnent bien leur vie.
>> L’interprofession devrait être un lieu de dialogue et vous nous dites qu’il est impossible ?
Oui, c’est le cas au comité Interbev de Normandie depuis quelque temps. C’est pourquoi avec mes collègues éleveurs, nous avons décidé de suspendre notre participation. Que l’on nous respecte pour ce que nous sommes et pour les éleveurs que nous représentons et l’on verra. Pour l’instant nous n’avons droit qu’au mépris, c’est ce qu’il y a de pire.
>> Au niveau national, la filière s’engage pour le développement du label rouge. Cela peut-il apporter un plus aux éleveurs ?
J’en doute parce que l’aval de la filière ne supporte pas que les éleveurs soient rémunérés pour leur travail et leurs investissements sur la traçabilité, le sanitaire, la finition des animaux et les contraintes environnementales et me bien-être animal. Des charges supplémentaires de moins en moins supportables au vu de nos résultats économiques. Dès que quelque chose de positif arrive, ils confisquent la plus-value. Nous avons ainsi voulu organiser une filière à partir de veaux normands sevrés. Pour cela l’interprofession a décidé d’aider les éleveurs qui mettaient en place des veaux de huit jours. Eh bien dès le premier lot, le prix de reprise des veaux avait baissé du montant de l’aide. Un autre exemple ? Nous avons lancé la démarche « éleveur et engagé » il y a trois ans en vue d’améliorer le prix des animaux destinés à la découpe grâce à une valorisation dans la distribution. Pour que ce soit transparent, nous savons quels éleveurs ont pu bénéficier de la plus-value. Dans notre région, la moitié des animaux valorisés ont été fournis par des négociants en leur nom ou par des propriétaires et directeurs d’abattoirs. La démarche devait avoir du bon, même s’ils l’ont critiquée, puisqu’ils ont su l’utiliser à leur profit sans en faire bénéficier leurs fournisseurs éleveurs. Je suis écœuré et triste.
>> On vous sent très amer…
Il y a de quoi. Cette filière est déprimante. Tout le monde a participé aux États Généraux de l’Alimentation et pris des engagements pour contractualiser et payer les produits en tenant compte du coût de production validé à Interbev national par toutes les familles de la filière. Mais dès la loi promulguée, chacun a repris ses vieilles habitudes. C’est désespérant. Il n’y a aucune transparence, que ce soit sur le classement ou sur les frais d’approche, chacun fait ce qu’il veut en fonction de ses besoins. Plusieurs d’entre nous ont fait leurs comptes : il manque 40 centimes du kilo, soit sur de bonnes bêtes, plus de 200€ par bête par rapport au prix entrée abattoir de la cotation France Agrimer de la même semaine. Et on nous accuse de toujours nous plaindre sans raison ? Cela suffit.