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Consommation
Les grandes tendances de l’alimentation des français

Inscrit au patrimoine de l’humanité par l’UNESCO le 16 novembre 2010, le repas gastronomique français décrit un comportement alimentaire spécifique qui résiste et conserve encore tout son sens. Mais pour combien de temps ?

Céline Lainey (chargée de mission au Centre d’études et de prospectives du ministère de l’Agriculture) rappelle la place prépondérante de la gastronomie en France et met en évidence les tendances émergentes et les ruptures possibles, susceptibles de modifier le modèle alimentaire français.
Céline Lainey (chargée de mission au Centre d’études et de prospectives du ministère de l’Agriculture) rappelle la place prépondérante de la gastronomie en France et met en évidence les tendances émergentes et les ruptures possibles, susceptibles de modifier le modèle alimentaire français.
© Commission européenne
Céline Lainey, chargée de mission au Centre d’études et de prospectives du ministère de l’Agriculture  a étudié l’évolution de l’alimentation en France dans deux articles successifs dans la revue Futurible(1). Elle rappelle la place prépondérante de la gastronomie en France et met en évidence les tendances émergentes et les ruptures possibles, susceptibles de modifier le modèle alimentaire français.

Des français qui restent attachés à leur gastronomie …
Part du budget consacré à l’alimentation, changements qualitatifs de la consommation, montée en puissance des produits préparés, de la restauration hors foyer, diversification des lieux d’achat sont autant d’indicateurs qui permettent de suivre les grandes tendances qui vont influencer  les comportements dans les années à venir mais qui indiquent aussi la bonne persistance du modèle alimentaire français.
Globalement, on peut constater que les français dépensent toujours plus pour se nourrir (2 640 €/an en 2007 contre 1 470 €/an en 1960). Mais cette hausse est moins importante en proportion que pour les autres postes de consommation (loisirs, produits issus des technologies de l’information et communication, …). La part de l’alimentation dans le budget des ménages diminue régulièrement pour atteindre 13.6 % en 2009.
Les inégalité alimentaires subsistent cependant. Les différences sociales en matière d’alimentation restent fortes et les comportement alimentaires constituent des signes d’appartenance qui se révèlent dans le poids de l’alimentation dans le budget des ménages, dans les produits consommés ou dans les circuits de distribution fréquentés. L’alimentation pèse plus lourd dans le budget des ménages les moins aisés, ce qui les rend plus sensibles aux hausses de prix. La part du budget consacré à l’alimentation est de 12.4 % pour les cadres en 2006, alors quelle est de 16 % pour les ouvriers.
Les produits consommés varient aussi entre les groupes sociaux : davantage de produits transformés ou plus coûteux chez les plus aisés, des produits bon marché (œuf, volaille) ou des denrées transformées contenant des ingrédients peu coûteux chez les plus modestes. Les inégalités alimentaires se traduisent en inégalités “nutritionnelles”. Mais au-delà des moyens financiers, les représentations en matière d’alimentation importent également : pour les catégories aisées, bien nourrir son enfant consiste à lui proposer des aliments sains, pour les catégories modestes, il s’agit de fournir des aliments nourrissants en abondance.
L’augmentation de la consommation de produits transformés et de la prise de repas à l’extérieur témoigne également de la modification des habitudes. L’évolution des modes de vie avec la bi activité des couples, l’allongement des temps de transport et de loisirs se sont traduit par une baisse du temps passé aux fourneaux. D’où le succès des aliments préparés ou épluchés, des surgelés et des plats préparés. L’évolution vers la praticité, le raccourcissement des repas en semaine et le transfert vers le hors foyer semblent des tendances lourdes bien installées, même si la France est sans doute un des pays dont le modèle résiste le mieux.
Malgré ces constats d’évolution, des études du CREDOC(2) mon-trent que la France reste éloignée du modèle anglo-saxon “n’importe quoi, n’importe quand, n’importe comment et souvent seul”.
La convivialité joue toujours un rôle important dans le modèle alimentaire français. La dimension fonctionnelle de l’aliment ne semble pas avoir d’écho en France. C’est  le repas gastronomique qui reste la dimension importante, même au quotidien (voir encadré).

Une alimentation en quête de sens
La multiplication actuelle des labels (bio, produits locaux, halal, bien-être animal, étiquetage carbone…) semble répondre à une quête de sens de la part des consommateurs, même si la profusion peut prêter à confusion.
Le marché du bio se développe. Multiplié par deux de 2005 à 2009, il reste peu important et représente 1.9 % du marché alimentaire total. Cette consommation reste socialement marquée et est beaucoup plus fréquente chez les 50 - 65 ans, les cadres et professions intermédiaires et les habitants de la région parisienne. Après une vague de consommateurs militants, apparaissent maintenant des consommateurs essentiellement motivés par des préoccupations diététiques et de santé. La France n’est pas à la pointe de ce type de consommation, un français dépense en moyenne 32 € par an pour des produits bio, contre 90 € pour un Autrichien ou 64 € pour un Allemand.
On note également une montée du désir de “local”. La vogue des produits locaux, plus récente, répond aux exigences de refus de l’opacité du système alimentaire et à la volonté de retrouver du lien entre le producteur et le consommateur. L’information sur l’origine du produit devient le second critère d’achat derrière le prix (sondage Agri Confiance de septembre 2009). 90 % des français estiment important de pouvoir acheter des aliments de saison, produits localement, à proximité du point de vente. Ventes à la ferme, cueillette sur place, ventes de paniers bio ou fermiers par internet se développent dans la même volonté de favoriser les circuits courts.
Dans la même veine, la consommation “halal” est en pleine expansion, même si cela reste un phénomène difficile à mesurer. Ce marché est estimé à 5.5 milliards d’euros en 2010, en pleine croissance de + 10 à +15 % par an en moyenne (voir tableau).

Entre plaisir et santé ?
Globalement on constate que les valeurs vacillent et oscillent entre plaisir et santé. On observe actuellement un retour du plaisir de cuisiner et la cuisine maison est largement  plébiscitée par les français (94 % des français considèrent que préparer des petits plats est source d’épanouissement et de plaisir - TNS Sofres juin 2010). Mais il semble que la pratique de la cuisine reste festive, réservée aux fins de semaine et aux invitations.
En parallèle, on observe une montée en puissance de médicalisation de l’alimentation. Alimentation et santé partagent des relations compliquées. D’une part, les comportements alimentaires sont accusés d’être responsables de maladies cardiovasculaires ou de certains cancers. D’autre part, la proposition de plus en plus d’ “alicaments” par l’industrie agro-alimentaire confère à l’alimentation des caractéristiques améliorant la santé.
Une autre tendance montante apparaît avec l’émergence du snacking et du nomadisme. Certains signes de “déstructuration alimentaire” apparaissent chez les jeunes. Les moins de 35 ans prennent de moins en moins 3 repas par jour, consomment de plus en plus d’aliments transformés et dépensent huit fois moins pour les produits frais que les générations plus âgées.
D’une façon générale, les nouvelles générations consacrent une part nettement moins importante de leur budget à l’alimentation que les précédentes. Vu du monde agricole, ce mouvement vers une alimentation à la fois peu coûteuse et très transformée, où la part du produit agricole est faible (beaucoup de transformation) et où sa valorisation culturelle est minimale (simple matière première) peut être perçue comme une menace.

Pour conclure…
On peut rappeler que les aspirations autour de l’alimentation restent toujours pleines de contradictions :
- l’aliment “idéal” devrait être bio, local, équitable, respectueux du bien-être animal, n’engendrant pas d’effet de serre mais toujours moins cher ;
- le retour du plaisir de cuisiner pour un certain nombre de personnes s’oppose à l’érosion du modèle alimentaire français observé avec la montée du “snaking” ;
- la médicalisation de l’aliment contredit le plaisir hédoniste qui caractérise encore les français.
Ces différentes constatations indiquent que la consommation alimentaire est le résultat de tiraillement entre les aspirations (éthiques, écologiques, …) et les contraintes (budgétaires, temps, …) des individus et traduisent plutôt un éclatement des modes de consommation (fin de la consommation de masse) avec une multiplication des profils de consommateurs.
Ces bouleversements auront des implications pour l’industrie agro-alimentaire, la distribution et la restauration.

Isabelle DE LA BORDE
Chargée d’études économiques, Chambre d’agriculture  de Seine-Maritime, Pôle Economie  et Prospectivedes Chambres
d’agriculture de Normandie

(1) Laisney Céline. “L’évolution de l’alimentation en France. Tendances lourdes”. Futurible, n°371, Février 2011, 15 p.
Laisney Céline. “L’évolution de l’alimentation en France. Tendances émergentes et ruptures possibles”. Futurible, n°372, Mars 2011, 18 p.
(2) Crédoc : Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie.Les caractéristiques du modèle français
- Trois repas principaux par jour et des repas pris à des heures relativement fixes et communes à tous.
- Un temps de préparation et une durée des repas relativement élevés.
- Un repas structuré par deux ou trois composantes prises dans l’ordre.
- Une grande importance accordée au goût des aliments.
- Un savoir-faire transmis par l’expérience.

Source : Crédoc (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie)
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