Après Synutra, MLC veut rebondir
La coopérative Maitres laitiers du Cotentin compte bien se relever suite à l'affaire Synutra, qui prévoyait la production de 690 millions de briquettes de lait infantile par an pour la Chine. Après l'arrêt de la production et la rupture du contrat, la coopérative veut se relever en misant toujours sur l'export, et avec de nouveaux clients. Des pistes sont en cours.
A événement exceptionnelle, situation exceptionnelle. Et l'affaire Synutra revêt bien un caractère exceptionnel dans la vie de la coopérative Maitres laitiers du Cotentin (MLC). Alors, c'est à huit clos que les dirigeants de MLC ont voulu organiser leur dernière assemblée générale le 18 septembre dernier pour avoir une discussion franche et sincère avec ses adhérents coopérateurs. « J'assume cette décision parce qu'il avait besoin d'avoir cet échange privilégié », souligne le président, Christophe Levavasseur.
Un démarrage moins rapide
Bien entendu, l'affaire Synutra a été au coeur des débats. Une affaire qui concerne la nouvelle usine de Méautis destinée pour 40 % de la surface à produire des briquettes de lait infantile pour la Chine. Le 31 août, MLC a fait savoir qu'elle arrêtait sa production et que le groupe chinois avait rompu de manière unilatérale le contrat. Cette affaire a rythmé tout le mois d'août et bien avant comme l'explique Guillaume Fortin, directeur général de la coopérative Maitres laitiers et du réseau France frais, filiale de MLC. « Le démarrage a été moins rapide que nous l'avions supposé. Et s'il y avait 120 containeurs par semaine prévu dans le contrat, nous ne sommes jamais allés au-delà de 80 », explique-t-il.
Des stocks importants
Dès la fin du mois d'avril, Synutra a fait remonter des problèmes de dépôt de matière protéique au fond des briquettes. « Cela reste totalement neutre d'un point de vue sanitaire, celui-ci est une conséquence naturelle du choix du procédé thermique utilisé lors de la fabrication », indique Guillaume Fortin. En se déplaçant dans les entrepôts de Carhaix, « ce fut la stupeur parce que nous trouvons des stocks importants, envoyés depuis le mois de septembre, octobre 2017. » Pour la coopérative, le groupe Synutra « n'a pas mis toute son énergie pour la commercialisation des produits », déplore-t-il. Un déplacement en Chine a permis de confirmer les doutes. Mais les autorités chinoises mettent également en avant de nouvelles normes, et la non obtention de l'agrément de produire du lait infantile en Chine. « Un prétexte voire une mascarade », pour Guillaume Fortin.
Une facture de 9,65 millions d'euros
Alors, une première facture de 9,5 millions d'euros a été émise au titre de dommages et intérêts correspondant aux quantités non commandées prévues dans l'accord commercial. Par ailleurs, Synutra ayant arrêté de payer ses factures depuis avril, la coopérative a missionné son assureur-crédit Euler-Hermes, pour obtenir son dû. Reste que l'affaire est désormais dans les mains de la justice, à Brest et à Paris.
Les producteurs rassurés
Pour les producteurs, Christophe Levavasseur - lui-même agriculteur, aime-t-il rappeler - la remise en cause des volumes n'est pas d'actualité. « Je comprends leurs inquiétudes. Mais les volumes de la collecte laitière 2018/2019 seront préservés. Et nous continuons à accompagner de nouveaux projets s'ils se présentent à nous », martèle-t-il.
Pas de casse sociale chez les salariés
Sur le site de Méautis, une centaine de salariés était concerné par cette production « chinoise ». Ils ont été réorientés vers les autres sites du groupe, qui dorénavant font moins appel à d'intérimaire et de contrats à durée déterminées. La production de crème et de beurre se poursuit à Méautis avec une trentaine de personnels.
Faut-il y voir un dégât collatéral de l'affaire Lactalis ?
MLC aurait-elle été une victime collatérale de l'affaire Lactalis parvenue en août 2017 ? Si Guillaume Fortin reste prudent parce que « les sujets sont différents », il n'exclut pas qu'il y ait eu des effets. Et pour cause, la demande d'agrément, était à ce moment-là, sur le bureau de l'Administration française en vue d'être soumise aux autorités chinoise. « A partir de cette date, les autorités françaises n'ont plus voulu transmettre de dossiers vers la Chine parce que la situation était trop prégnante », argumente le directeur général. Depuis, la demande d'agrément de produire du lait infantile pour la Chine est finalement partie fin août. « Le processus est reparti », se réjouit l'équipe dirigeante.
Quel avenir pour le site Méautis ?
Sans pouvoir tourner totalement une page sur l'affaire Synutra, la coopérative manchoise travaille sur de nouvelles pistes. « Des distributeurs chinois nous ont contacté, estimant certainement que l'idée de Synutra est bonne. D'autres pays émergeants comme le Moyen-Orient et l'Afrique sont également des marchés possibles, sans compter sur des industriels laitiers, français entre autres, intéressés d'avoir dans leur gamme des briquettes de lait ».
Des contacts se multiplient ainsi que des visites, notamment au moment du SIAL (Salon professionnel et international de l'alimentation, dédié à l'industrie agroalimentaire) qui se déroule du 21 au 25 octobre à Paris.
L'usine de Méautis pourrait revoir des briquettes de lait, mais pas avant la fin du premier trimestre 2019. « La recherche de marchés prend du temps », relève Christophe Levavasseur.
Aujourd'hui, avec les coopérateurs, nous sommes dans une démarche de confiance et de solidarité. On affronte cette situation et on a rebondir », affirme Guillaume Fortin. « Si nous perdons quelques plumes, nous ne perdons pas tout », conclut Christophe Levavasseur.
La coopérative en chiffres
Les Maîtres Laitiers du Cotentin compte 1 188 sociétaires producteurs implantés sur 769 exploitations dans la Manche. Avec 5 032 collaborateurs, il produit 431 millions de litres de lait (soit + 5,68 % par rapport à la campagne précédente), pour un chiffre d’affaires de 1,9 milliard d’euros. Son EBE grimpe de 15 millions d’euros pour atteindre plus de 79 millions d’euros. Quant au résultat consolidé, il est de 1,3 millions d’euros contre 2,7 millions d’euros l’exercice précédent. Il aurait été de près de 11 millions d’euros si MLC n’avait pas fait l’option d’une provision par mesure de prudence de 9 580 000 €, montant de la facture envoyé à Synutra.
La coopérative compte 6 sites industriels (Sottevast, Valognes, Méautis, Savigny le Temple, Lessay et Toulouse), et commercialise avec 129 filiales et dépôts de distribution.
Christophe Levavasseur, président de Maitres laitiers du Cotentin
« Comme président, on vit mal cette affaire »
Christophe Levavasseur, président de Maitres laitiers du Cotentin, est revenu longuement sur l’histoire mais aussi les valeurs qui font la coopérative lors de l’assemblée générale, et sur l’épisode Synutra, expliquant qu’il « n’a jamais refusé le débat sur Méautis. ». Et pour lui, si l’ensemble des membres du conseil d’administration a été réélu à l’unanimité et avec 100 % des voix, c’est signe que les coopérateurs font confiance et sont solidaires. « Sinon, je n’aurai pas ressenti la légitimité de poursuivre », explique le président, affecté par cette affaire Synutra. « Quand on est investi sur un tel projet, comme président, on vit mal cette affaire », avoue-t-il. « J’ai tout de suite cru au dossier. Alors, oui, il y a toujours des hauts et des bas dans la vie de la coopérative. Mais là, il y a un gros caillou dans la chaussure. Certains en profitent pour déstabiliser les producteurs. Or, on a des atouts : nos usines, nos marchés, notre réseau de distribution, notre savoir-faire, nos salariés et les agriculteurs. Le volume de la collecte n’est pas remis en cause », se défend-t-il. Des atouts qui permettront à MLC de conserver sa place en Europe et à capter des nouveaux marchés à l’export.
Jean-François Fortin, directeur général du groupe Maîtres Laitiers du Cotentin
« La briquette aura de la valeur »
« Cette situation ne me fait pas plaisir », confie-t-il en fin de conférence de presse. Mais son expérience de 40 ans, lui permet d’afficher sa détermination à sortir de cette difficulté. « Des hauts et des bas, j’en ai connu ! Certes, on ne sait pas comment cela va se finir avec Synutra. Mais aujourd’hui, nous faisons preuve d’une motivation indéniable » à croire en la briquette de lait, assure-t-il. « Le marché n’est peut-être pas là encore. Parfois, on a tort d’avoir raison trop tôt », lâche-t-il. Et ce n’est pas seulement en Chine que le PDG de la coopérative manchoise se tourne. « La quantité et la qualité d’eau ne sera pas là partout dans le monde », explique-t-il. Alors, la briquette de lait sera à ses yeux « un produit qui aura de la valeur. La briquette aura sa raison d’être », affirme-t-il.